Calendrier de l'avent 2022

9 décembre 2022

L’air marin fouettait le visage de Marie-Cannelle tandis que le bateau s’éloignait de son île. Elle avait pris la décision de rejoindre le continent pour la journée et profitait du bateau du matin. Le trajet lui fit du bien. Elle plongea son regard dans l’océan, auprès duquel elle vivait depuis de nombreuses années. Elle n’aurait pas supporté d’en être séparée. Les couleurs changeantes de la mer l’apaisaient. Elle aimait regarder les mouvements des vagues et découvrir chaque jour un nouveau paysage.

Et ce matin ne faisait pas exception à la règle. Le ciel gris se reflétait dans la mer d’huile. Seule la vitesse du bateau troublait ce lac océan et faisait voler quelques mèches de cheveux autour de Marie-Cannelle. Elle avait ressenti un petit pincement au cœur en voyant son île d’éloigner, mais savait qu’elle ne serait pas absente longtemps. Une journée. Une poignée d’heures.

Marie-Cannelle avait choisi de rejoindre la maison de ses parents. Il était temps de discuter sérieusement avec sa mère du devenir du Bazar de Mélie.

Bientôt les côtes continentales furent en vue. Lointaine tout d’abord, puis de plus en plus proches. Au début, elles n’étaient d’une ombre grise au loin, sur l’horizon. Puis on commença à distinguer des couleurs et quelques formes, avant que ne se forment des détails plus précis. Le bateau longea la plage et Marie-Cannelle put s’émerveiller, comme à son habitude, sur l’île-sœur de l’Île-d’Yeu : Noirmoutier. Contournant les bancs de sable de la Plage de la Grande Côte, le bateau tourna ensuite pour passer sous le pont de Noirmoutier, pour, enfin, rejoindre le débarcadère.

Sa mère attendait au dépose-minute, observant avec impatience les passagers qui avançaient vers la ville.

— Bonjour ma chérie, tu as fait un bon voyage ? Tu as des affaires à mettre dans le coffre ?

— Bonjour Maman. Non, je n’ai pris que mon sac, je ne viens que pour la journée, tu te souviens ?

Marie-Cannelle sourit. Sa mère était toujours autant aux petits soins pour elle, comme si elle était encore une enfant. Les deux femmes s’embrassèrent et Clémence entraîna sa fille vers la voiture. À peine étaient-elles installées que Clémence ouvrait le débat.

— Tu nous as dit que tu avais une grande nouvelle à nous dire. Tu m’en parles ?

— Maman, je préfèrerais attendre qu’on soit à la maison… Papa aussi est concerné, d’une certaine façon.

— Ah…

Le silence s’installa dans la voiture et les deux femmes terminèrent le trajet sans un mot. La maison d’enfance de Marie-Cannelle se trouvait à l’écart de la ville, entre les pins, proche de la côte. Elle était un peu en retrait de la route, protégée derrière une haie dense. Une maison toute simple et un jardin plutôt grand.

Marie-Cannelle sortit de la voiture alors que son cœur battait à tout rompre. Elle avait espéré avoir un peu de temps avant d’aborder le but de sa visite, mais le semblant de discussion avec sa mère lui avait fait comprendre que non. Plus tôt elle aurait annoncé la fermeture, mieux ça vaudrait.

Elle embrassa son père, déposa son manteau à la patère et se dirigea vers le salon. La table était dressée. On y trouvait quantité de bouchées parfumées.

— On attend du monde ?

Clémence haussa les épaules.

— Tu connais ton père, quand il part dans ses préparations, on ne peut pas l’arrêter.

Jean-Max passa un bras autour des épaules de Marie-Cannelle et l’entraîna vers le canapé.

— Installe-toi. Je te sers un rhum arrangé ? J’en ai fait un comme l’aimait Mélie : orange et cannelle, avec des grains de café.

Marie-Cannelle sourit. Ses yeux étaient tristes mais elle ravala les larmes qu’elle sentait poindre.

— Alors, reprit Jean-Max, comment ça va sur l’île ? Il n’y a pas eu trop de dégâts avec la tempête ?

— Pas d’électricité pendant une nuit, mais on a fait une soirée à la bougie avec Gabriel, ça nous a rappelé des souvenirs…

Alors qu’elle se penchait pour saisir un samoussa, elle prit une grande inspiration.

— Bon, on ne va pas tourner autour du pot… Maman a déjà essayé de me tirer les vers du nez.

Clémence avait les yeux brillants. Sans doute s’attend-elle à ce que je lui dise que j’ai trouvé un amoureux

— Je… J’ai décidé de fermer le Bazar.

— Tu prends des vacances, ma chérie ? Enfin ! Mais quelle bonne idée ! Je suis ravie pour toi, depuis le temps que je te le dis…

— Non, Maman. Je ne prends pas de vacances. Ou en tous cas, pas comme tu le penses. Je vais fermer. Définitivement.

Ses parents, face à elle, ouvraient de grands yeux et la regardaient, bouche ouverte. Le choc…

— Le Bazar ne marche plus depuis un moment. J’ai pioché dans l’héritage que m’a laissé Mélie pour le faire tenir à flots mais il faut se rendre à l’évidence, je ne peux plus lutter.

Les larmes coulèrent sur les joues de la jeune antiquaire. Ses parents l’observaient, interdits, sans savoir quoi faire. Puis son père prit la parole.

— Tu sais, Marie, ça fait longtemps qu’on pense que tu t’épuises pour rien avec cette boutique.

Clémence toussa et son mari lui mit discrètement un petit coup de coude.

— On pense… Je pense que tu as pris la bonne décision. C’est courageux pour toi de faire face. Je suis fier de toi.

— Et tu fermes quand ? lança Clémence, d’une voix blanche.

— Après Noël. Mais j’ai discuté avec Gabriel et Érine, et on va organiser une grande fête pour la fin d’année, dans la boutique. On fera le marché de Noël de l’école, une soirée karaoké de chants de Noël et plein d’autres choses…

Clémence observa sa fille, à la recherche d’un signe qui laisserait à penser qu’il s’agissait d’une blague. Comme elle ne décela rien, elle ne put se retenir et explosa.

— Tu viens à la maison pour nous annoncer que tu jettes l’éponge ? Tu abandonnes ? Comme ça ? Parce que c’est trop dur ? Tu crois vraiment que ma mère aurait baissé les bras à la première difficulté ?

Clémence n’attendit pas la réponse de sa fille, qui pleurait sans rien oser ajouter, et quitta la pièce. Jean-Max, lui, vint s’installer aux côtés de Marie-Cannelle. Il la prit dans ses bras et la berça doucement.

— Il faut la comprendre, elle est blessée. Elle a toujours connu le Bazar. Mais ça lui passera… Tu as prévu quelque chose en particulier pour ces festivités ?

Marie-Cannelle renifla, se moucha bruyamment et releva la tête vers son père.

  • Papa, c’était comment, chez toi, Noël ?

— Noël, c’était la fête de famille. Tout le monde se réunissait chez nous. Marie-Rose, ta grand-mère, décorait la maison le premier décembre. On mettait une grande branche de filaos dans la véranda et on y plaçait des boules et des guirlandes, comme on fait ici avec le sapin. La soirée commençait par un ti-punch. Les enfants mangeaient des bouchons et les grands des bonbons piments. Je me souviens d’une année où mon père et mon oncle ont fait un concours. Mon père avait caché dans un des bonbons un piment oiseau… Ensuite Marie-Rose apportait un plat de cari, souvent au poisson, et du rougail. Ça zoukait dans la maison jusqu’à pas d’heure… En fin de nuit, quand on a commencé à être assez grands, on prenait la salade de fruits frais sur la plage, entre jeunes, autour d’un feu. C’était notre moment à nous, entre cousins. Tu sais, La Réunion est une petite île. Plus grande que ton île à toi, mais suffisamment petite pour que tout le monde s’y connaisse. Surtout à Cilaos, dans le cirque…

L’après-midi se déroula tranquillement. Jean-Max s’était plongé dans ses souvenirs et racontait à sa fille les Noëls de son enfance. Il avait une touche de nostalgie dans la voix mais ses yeux étaient rieurs et il s’était remémoré, avec de nombreux fous-rires, les épisodes marquants des fêtes de fin d’année au soleil.

Clémence ne revint pas saluer sa fille avant qu’elle ne parte. Marie-Cannelle, qui était venue chercher auprès de ses parents soutien et réconfort en fut blessée.

Sur le bateau qui la ramenait chez elle, la jeune femme essayait de faire la part des choses. Sa mère avait réagi de manière plus vive qu’elle-même, mais elle la comprenait. Il lui faudrait certainement quelques jours pour réaliser que c’était la meilleure des décisions. Et Marie-Cannelle ne doutait pas que sa mère finirait par la soutenir dans ses choix, aussi douloureux soient-ils.

Puis ses pensées dérivèrent vers les souvenirs de son père. Le Noël réunionnais semblait être particulièrement festif. Somnolente, elle se laissait bercer par les mouvements réguliers du bateau. Alors qu’elle posait le pied sur l’île, son île, elle était résolue : elle allait apporter avec elle ces traditions venues de loin et organiser une soirée réunionnaise, pour faire plaisir à son père, tout comme l’avait fait Mélie lorsqu’elle avait ajouté de la cannelle dans les guirlandes d’oranges. Le Bazar de Mélie était sa boutique, sa boutique à elle, et il était plus que temps qu’elle y laisse sa marque. Ses origines étaient des îles, l’Île-d’Yeu ne pourrait qu’accepter de partager des coutumes venues d’une lointaine sœur…

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