Calendrier de l'avent 2022

10 décembre 2022

Marie-Cannelle était toujours un peu perturbée par la réaction de sa mère. Trois jours qu’elle n’avait pas eu de nouvelles. Alors, même si l’heure était aux préparatifs du marché de Noël, son cœur, lui, était resté sur le continent.

La veille, Gabriel avait passé du temps dans la boutique, et, aidé par les voisins, il avait pu déplacer les plus gros meubles pour organiser un grand espace. La vente récente de deux grandes armoires avait permis également de libérer un peu de place dans les alcôves. Elles avaient été remplacées par des tables longues, sur lesquelles on pourrait poser des décorations et autres gourmandises. Dans la boutique, les buffets gardaient déjà bien au chaud les surprises préparées par les enfants.

Érine apportait, chaque jour ou presque, de nouvelles décorations, de petits objets de Noël préparés par les parents d’élèves. Le marché s’annonçait joyeux et bien chargé. De quoi lancer les festivités pour la plus grande joie des petits.

Alors que Marie-Cannelle s’occupait à l’inventaire des nappes de fêtes dont elle disposait en réserve, le carillon de porte se fit entendre. Un homme brun à la peau mate se tenait à l’entrée de la boutique, l’air absent. Il portait un gros caban et une écharpe beige. Un jean bleu foncé et des chaussures montantes achevaient sa tenue. Un style à mi-chemin entre randonneur et marin.

— Bonjour, puis-je vous aider ?

L’homme se tourna vers elle et la transperça de ses yeux noirs.

— Je cherche, euh… Quelqu’un m’a dit Marie-Cannelle, mais j’imagine qu’il s’agit d’une plaisanterie ou d’un surnom.

La jeune femme éclata de rire.

— Non, personne ne s’est moqué de vous, c’est bien mon prénom. Vous aviez besoin de quelque chose en particulier ?

L’homme l’observa une fraction de seconde puis détourna le visage. Il semblait à Marie-Cannelle que ses yeux étaient humides, mais elle n’en était pas certaine.

— Je vais faire un tour, reprit-il d’une voix brusque avant de lui tourner le dos.

Marie-Cannelle resta interdite. Puis, haussant les épaules, elle attrapa son carnet et entreprit de noter les idées qu’elle avait et la liste des courses qu’elle devait encore faire. Il faudrait aussi qu’elle songe à appeler son père pour qu’il lui confirme qu’il serait de la partie et qu’il lui transmette les ingrédients dont il avait besoin pour ses recettes.

— Des amandes effilées, des épices, des piments sans doute… oh et du sucre, sans doute 3 ou 4 kilogrammes. Des oranges pour les élèves. Humm…

— S’il vous plait ?

Marie-Cannelle sursauta. Concentrée sur sa feuille, elle en avait oublié la présence de l’homme.

— Oui… ?

— Je vais avoir besoin de vous. De votre aide, corrigea-t-il rapidement. Je possède une maison qui est à vider et il semble que vous soyez la référence en la matière sur l’île. Et comme je n’y connais rien…

— Vous avez une maison sur l’île ? le questionna-t-elle, surprise. Je ne vous ai jamais vu ici pourtant…

L’émotion troubla le regard de son interlocuteur.

— Elle appartenait à mes grands-parents, c’était leur maison de vacances. Et comme mon grand-père est décédé et que ma grand-mère a été placée en maison de retraire, elle ne leur sera plus d’aucune utilité.

Il sortit de sa poche un mouchoir en tissu et essuya les larmes qui venaient de poindre au creux de ses yeux. D’un geste doux, Marie-Cannelle posa sa main sur le bras de l’homme.

— Je comprends. Mais vous savez, ma boutique ferme bientôt alors…

— Je vous en prie, murmura-t-il en lui prenant les mains. Ne laissez pas la maison se faire brader. Votre magasin est beau comme tout et je suis certain que vous saurez faire des miracles. Je voudrais faire ça pour mes grands-parents. Même s’ils ne venaient pas souvent ici, ils en parlaient chaque jour ou presque.

Le silence s’installa entre eux. Aucun ne bougeait, ils restaient là, à se regarder, l’homme tenant les mains de Marie-Cannelle, la priant en silence d’accepter.

— Venez au moins visiter la maison, ça n’engage à rien, vous savez…

Malgré les larmes, il avait un sourire éclatant. Marie-Cannelle sentit son cœur fondre comme neige au soleil. Cet homme tenait à ses grands-parents autant qu’elle tenait à Mélie. Elle comprenait sa souffrance et ne pouvait y être insensible.

— Très bien, je passerai, concéda-t-elle.

— Ils habitent… Enfin ils habitaient à la Pointe des Corbeaux, côté plage. La maison aux volets rouges. Vous ne pourrez pas la rater.

— Dans deux jours, ça vous convient ? Sans doute en fin de journée…

— Je suis encore ici pendant deux ou trois semaines, prenez votre temps. En attendant, je vous remercie du fond du cœur.

Il l’attira contre lui et la serra, dans une étreinte pleine de soulagement et de tristesse. Il sentait bon l’eau de Cologne et la mer. Un parfum à la fois frais et salé, avec un soupçon de végétal et d’iode. Marie-Cannelle était surprise de tant de familiarité. Et aussi brusquement qu’il était entré, il opéra un demi-tour, franchit la porte, faisant sonner le carillon, et quitta le magasin sans un mot.

Marie-Cannelle s’interrogeait encore sur la scène qui venait de se passer. Elle restait là, interdite. Puis elle secoua la tête et se remit au travail. Une vingtaine de minutes plus tard, le carillon retentit de nouveau.

— Ah Gab ! La journée a été bonne ? lança-t-elle de la réserve.

Un toussement gêné se fit entendre. L’homme était de retour.

— Oh mince ! Décidément, je me trompe à chaque fois ou presque, ria-t-elle avec ironie.

L’homme ne releva pas.

— Je viens de me rendre compte que je ne m’étais pas présenté. Je manque à tous mes devoirs, ma grand-mère m’aurait tiré les oreilles. Moi c’est Liam. Voici ma carte, vous aurez mes coordonnées dessus… Si vous voulez m’appeler… Ou m’envoyer un message… Enfin, pour me prévenir quand vous viendrez.

— Marie-Cannelle, mais vous le saviez déjà. Je n’ai pas de carte, mais le numéro de la boutique est noté sur la vitrine, vous pouvez peut-être prendre une photo pour l’avoir. Et nous sommes dans l’annuaire aussi.

— Je vais faire ça en sortant alors. À bientôt, Mademoiselle.

Marie-Cannelle venait de vivre un nouveau moment irréel. Décidément, ce Liam était surprenant. Pourtant il émanait de lui quelque chose de fort, de puissant mais de fragile à la fois. Quelque chose d’indéfinissable. Était-ce parce qu’il souffrait, lui aussi, les douleurs du deuil ? Ou était-ce quelque chose d’autre ?

La jeune femme observa alors la carte de visite qu’il lui avait tendue. Liam Cunningham, Hapiness Manager indépendant et Éleveur de coccinelles. S’en suivait une adresse en région parisienne, une adresse électronique et un numéro de portable. Cette carte laissa l’antiquaire encore plus sceptique. Décidément, tout était étrange chez cet homme. Son allure, qui détonnait. Sa façon d’être, rassurante et chaleureuse mais en même temps trop intime pour un inconnu. Sa manière de parler, distante et proche à la fois. Jusqu’à son double métier, très étrange et dont Marie-Cannelle n’avait jamais entendu parler.

Érine la sortit de sa torpeur, lorsqu’elle pénétra dans la boutique les bras chargés de cartons.

— Tiens, encore des confections des parents ! Cette fois, ce sont des bonnets de noël. Il y en a pour tous les goûts, ajouta-t-elle en saisissant un bonnet rouge et vert en crochet. Gabriel pense que je devrais faire le tri entre ce qui est joli et ce qui n’est franchement pas top, mais je ne voudrais pas vexer les personnes qui ont confectionné ça. Tu en penses quoi ?

L’institutrice observa son amie en fronçant les sourcils.

— Marie-Cannelle, tu es avec moi ?

— Oui… Non… Je ne sais pas, fais comme tu veux…

— Hein ?

— Oh pardon Érine, j’étais ailleurs…

— Je vois ça ! Je sais que ça te perturbe cette histoire de fermeture, Gabriel m’en a parlé. Mais tu as raison, Marie-Cannelle, tu ne peux pas survivre comme ça. Tu trouveras autre chose à faire ! Il est temps de prendre un nouveau départ, tu sais…

— Hmm…

— Tu sais, je ne voulais pas t’en parler, parce que Gab me l’interdit, mais peut-être que ton avenir n’est plus sur l’île… Le destin t’enverra un signe, j’en suis sûre. Peut-être qu’il est temps pour toi que tu suives le vent vers là où il te mènera…

Marie-Cannelle sembla reprendre ses esprits d’un coup.

— Quoi ? Tu dis quoi ?

Érine soupira.

— Rien, oublie. De toutes façons, je n’en sais rien. Et Gabriel ne me le pardonnerait pas s’il apprenait que je t’en ai parlé.

La nuit suivante, dans le secret de sa chambre, Marie-Cannelle fit des rêves d’ailleurs, d’île lointaine et ensoleillée… Et d’un charmant brun ténébreux au sourire dévastateur…

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