Calendrier de l'avent 2022

11 décembre 2022

Les préparatifs allaient bon train. Le marché de Noël approchait et avec lui l’ouverture des festivités au Bazar de Mélie. Et il fallait bien le reconnaître, il y avait du pain sur la planche.

Marie-Cannelle y consacrait toutes ses soirées, ainsi que les journées, quand les clients se faisaient rares. Mais c’était moins le cas ces derniers temps. Chacun trouvait un prétexte pour passer voir la boutique, tantôt apportant une vieille photo, tantôt racontant à Marie-Cannelle des souvenirs avec Mélie. Il y en avait pour toutes les saisons. Et l’antiquaire proposait invariablement de les écrire sur des cartons de bristol beige, qu’elle assemblerait ensuite dans un album.

Printemps 68. Alors que la révolte grondait à Paris, la vie sur l’île était demeurée calme. Mélie, elle, allait et venait entre Yeu et le continent pour se tenir informée. Elle en voulait toujours plus. Je me souviens qu’elle avait même songé monter à la Capitale, pour être au cœur de l’Histoire. Mais les chemins de fer étaient en grève, eux aussi… Alors Mélie a incité les gens à rejoindre le mouvement, arguant qu’il était essentiel que tout le monde fasse corps. Tout le monde, sauf Bastien, le pilote du bateau, qu’elle tannait jour et nuit pour que surtout, il ne fasse pas grève et qu’il ne la prive pas de ses trajets vers la terre…

Hiver 54. La température baissait chaque jour un peu plus et nous avons battu des records, en février je crois. Des -8 et des -10, du jamais vu sur Yeu, du moins à mon avis. Mélie, elle, allait toujours à vélo à travers l’île, au grand désespoir de Jean-Noël. Il venait la rechercher en voiture, jetais son vélo sur la galerie et le sanglait avec une ficelle épaisse. On voyait la roue tourner quand ils rentraient. J’avais 7 ans. Je la revoie descendre du phare à la boutique, elle avait toujours comme un nuage blanc autour d’elle, de sa buée, et son écharpe rouge volait derrière elle. Je me souviens qu’une fois, elle m’avait même proposée de passer la journée avec elle. Clémence n’était pas encore née je crois. Mélie était comme ça. Il y avait toujours de la place pour les enfants dans sa boutique. Certaines fois, on y passait l’après-midi et elle nous préparait un chocolat pour le goûter. Quand les parents passaient, ils lui déposaient des œufs ou un litre de lait pour la remercier.

Printemps 61. Nous rentrions d’une sortie en mer. Nous étions allés à la pêche au thon. En ce temps-là, l’île comptait 4 conserveries et nous étions le plus grand port de thon de France. C’est une chose dont on ne parle pas souvent. Au bout du quai du Canada, les représentants des conserveries venaient à vélo pour acheter la pêche dès la descente de bateau. Mais quand Mélie était là, tout le monde la laissait passer. Elle ne prenait qu’un morceau de poisson, ce n’était pas grand-chose et ça ne gênait pas vraiment les acheteurs. Et puis, elle avait l’ancienneté sur l’île et il ne fallait pas trop s’y frotter. D’adorable, elle pouvait se transformer en furie pour qui ne la respectait pas. Ce jour-là, il faisait beau. La mer était calme et Mélie nous attendait. Son ventre s’était arrondi pendant notre absence. Jean-Noël, à bord, la regardait avec des yeux brillants. Leur amour aurait pu être légendaire, je crois. J’étais jeune mousse mais je me souviens d’elle, ses boucles brunes volant au vent. Elle portait toujours une robe colorée et souriait à tout le monde.

Une date inconnue. Mélie avait surpris tout le monde. Elle avait pris le bateau de bonne heure, ce jour-là. Elle avait, avait-elle dit, une commande spéciale qui l’attendait à terre. L’amiral de Joinville attendait à quai. C’était un bateau assez grand, un ancien navire de la Royal Navy. La cale y transportait nombre de chargements, que l’on faisait monter à bord par un mât de charge, qu’on manœuvrait à bras. Et Mélie, à peine le pied à terre, s’était précipitée vers une bétaillère. À la surprise générale, elle était revenue avec une vache laitière. Il avait fallu la transporter à bord, grâce à une sangle large. La pauvre bête était bien à la peine ! Elle n’avait pas cessé de meugler de tout le trajet. Et ça n’était pas aussi rapide que de nos jours ! Il fallait alors près d’une heure et demie pour rejoindre Yeu depuis le continent. Et nous étions toujours inquiets, le moindre retard aurait bien pu nous bloquer, car le port de Joinville n’avait pas un tirant d’eau suffisant, en dehors de la marée haute, pour notre navire…

Chaque jour apportait son lot de nouveaux témoignages. Érine avait même proposé que ses élèves passent à la maison de retraite. Ils avaient ainsi organisé un atelier intergénérationnel pour que les enfants collectent photos et témoignages et les mettent en page avant de les donner à Marie-Cannelle. La jeune femme avait été touchée de cette initiative. Elle ne doutait pas que le résultat serait des plus émouvants.

Plongée dans ses pensées, des photos éparpillées partout sur le comptoir, Marie-Cannelle discutait avec Gabriel.

— Tu as vu cette collection ? On dirait que les festivités ont permis à chacun de se rappeler de l’histoire de l’île ! C’est fou quand même !

— Oui, c’est assez impressionnant. D’ailleurs je n’ai pas demandé à mes grands-parents s’ils avaient quelque chose pour toi, mais vu la collection de cartons du grenier, il doit bien y avoir de quoi faire ! Sans doute même des photos de Mélie et Jean-Noël que tu ne connais pas.

Marie-Cannelle restait songeuse. Se plonger dans les souvenirs des autres lui donnait l’impression de ne pas totalement connaître cette grand-mère dont elle était pourtant si proche.

— Tu sais, j’ai parfois l’impression que les gens ici connaissent mieux Mélie que moi… C’est passionnant de la découvrir à travers le regard des autres, mais ça me fait aussi un peu mal parfois.

Gabriel la prit doucement dans ses bras. Elle posa sa tête sur son épaule et soupira, se détendant progressivement. Décidément son ami savait toujours quoi faire pour l’aider. Ils n’avaient pas besoin de mots pour se comprendre.

— Bon, assez de mièvreries ! Ton festival de Noël ne va pas se faire tout seul !

— Tu as raison, acquiesça-t-elle alors qu’elle reprenait ses esprits. Donc, pour le jour de Noël, j’aurai besoin de… Attends, je regarde dans mes notes.

Elle fouilla ses papiers, nombreux, et plusieurs pages déchirées d’un cahier tombèrent au sol.

— Je crois que ça doit être par là…

On sentait poindre l’agacement et la panique dans ses paroles.

— Caramel, respire, sourit Gabriel. Il n’y a pas d’urgence non plus ! J’ai déjà la commande pour l’école à faire et je peux contacter mes fournisseurs la semaine prochaine, on sera encore dans les temps.

Marie-Cannelle ne l’écoutait plus. Elle fouillait et retournait la boutique. Elle ouvrait les tiroirs et les portes des armoires.

— Il était là hier ! Un joli papier jaune avec des fleurs. Tu sais, le papier à lettres de Mélie. Gabriel, aide-moi un peu ! Il faut vraiment qu’on le retrouve, j’y ai noté aussi les quantités dont j’ai besoin pour les gâteaux ! Allez, ne reste pas planté là ! Regarde sous les meubles, tiens !

Le boulanger arpenta donc le magasin à quatre pattes, à la recherche du fameux petit papier jaune, son portable à la main pour éclairer sous les buffets et les armoires. Quiconque serait passé dans la rue à ce moment-là aurait pu être surpris de ce qui se passait dans la boutique ! Le Bazar portait parfois bien son nom !

— Bon, je ne sais pas si on va s’en sortir seuls. Il est temps de demander de l’aide, affirma Marie-Cannelle.

Et, haussant la voix, elle continua :

— Saint-Antoine, roi des voleurs, rendez-nous ce qui nous appartient !

A peine avait-elle prononcé ces mots qu’elle tenait de Mélie, que son téléphone sonna. Un message était arrivé, d’un numéro inconnu :

[Liam] Bonjour Marie-Cannelle, c’est Liam. Je suis navré de vous importuner, d’autant que nous avons convenu de nous voir demain, mais j’ai trouvé, dans mon sac, un papier qui semble vous appartenir. Souhaitez-vous que je vous le rapporte ou cela peut-il attendre que nous nous voyions ?

Marie-Cannelle s’empressa de lui répondre.

[Marie-Cannelle] Ah ! Dieu merci, vous l’avez trouvé ! Je le récupèrerai demain, merci. Et bonne soirée, Liam.

— C’est bon, Gabriel, c’est Liam qui l’avait ! Ouf !

— Liam ? Et je suis censé le connaître ? dit-il d’un ton renfrogné, en se relevant.

— Il est venu vider la maison de ses grands-parents, je t’en ai parlé non ? Tu sais, c’est la maison aux volets rouges à la Pointe des Corbeaux.

— Euh non, ça ne me dit rien. Et c’est quoi le rapport avec ton papier ?

— Il a dû l’emporter hier. Bref, ce n’est pas grave.

— Mouais… Tout ça n’explique pas pourquoi tu rougis quand tu parles de lui…

Marie-Cannelle fit mine de se concentrer sur son carnet et Gabriel n’insista pas. Il connaissait bien son amie, elle ne lâcherait pas le morceau si elle n’en avait pas envie…

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