La tempête soufflait, secouant la vieille voiture sans ménagement. Coincée à l’intérieur, Marie-Cannelle ferma les yeux un instant. Elle lança une prière silencieuse au dieu des moteurs, espérant qu’il l’entende et qu’il fasse redémarrer la R5 de Mélie. Puis elle tourna de nouveau la clé dans le contact. Rien. Elle n’entendait que le bruit du vent qui soufflait et celui des vagues qui venaient s’écraser avec fracas contre les rochers. Il fallait se rendre à l’évidence, la voiture ne redémarrerait pas ce soir. Plusieurs solutions s’offraient à elle. Rentrer à pied était exclus. Avec les bourrasques, ça n’aurait pas été sérieux. Elle risquerait de prendre un mauvais coup si une branche tombait. Elle essaya alors d’appeler Gabriel, pour qu’il vienne la chercher. Le boulanger n’habitait qu’à cinq ou six kilomètres, après tout. La jeune femme tomba directement sur la messagerie. Il n’était pas très tard, mais le boulanger se levait tôt le lendemain. Sans doute avait-il déjà éteint son téléphone. Il ne lui restait plus qu’un choix : contacter Liam.
[Marie-Cannelle] Bonsoir Liam, je suis désolée de vous ennuyer mais ma voiture fait des siennes. Est-ce que vous pourriez me ramener chez moi, s’il vous plait ?
[Liam] Où êtes-vous ?
[Marie-Cannelle] Sur le parking du phare. Je ne parviens pas à faire démarrer le moteur…
[Liam] Ne bougez surtout pas, j’arrive.
Marie-Cannelle sourit. Où aurait-elle pu aller, par ce temps ? Il ne fallut que quelques instants à son interlocuteur pour la rejoindre. Dans un geste chevaleresque, il lui ouvrit la porte et se pencha vers elle.
— Vous allez bien ? Vous n’avez pas trop peur, avec cette tempête ?
— Oh, vous savez, ce n’est ni la première, ni la dernière.
— Venez, rentrons.
La pluie commençait à tomber, à grosses gouttes gelées. Liam déplia au-dessus d’elle un parapluie. Marie-Cannelle éclata de rire. Mais quelle idée saugrenue ! Sans surprise, il ne fallut que quelques instants au vent violent pour retourner le frêle objet, au grand désespoir de Liam. Les deux jeunes gens se précipitèrent vers la maison, luttant contre le vent qui les repoussaient vers le phare. Quand, enfin, ils furent à l’abri, Marie-Cannelle grelotait et Liam dégoulinait.
— On fait une belle paire, plaisanta Marie-Cannelle, tremblant de tous ses membres.
— Je ne peux décemment pas vous laisser repartir ainsi, commenta Liam, l’observant à la dérobée. Prenez une douche dans la salle de bain du fond, la bleue ciel. Je vous apporterai des affaires pour vous changer.
Marie-Cannelle n’était pas prude, mais l’idée que Liam pénètre dans la salle de bain tandis qu’elle se changeait ne lui plaisait guère.
— Hum, euh… Je peux attendre quelques instants, vous savez.
— Oh ! Oui, pardon. Je ne pensais pas à mal, vous savez, je suis un gentleman, murmura-t-il en s’éloignant, faisant rougir la jeune femme plus que de raison.
Lorsqu’il revint, peu de temps après, Marie-Cannelle avait ôté ses chaussures et ses chaussettes, ainsi que son manteau et son pull, tous aussi trempés les uns que les autres. Elle sentait que la pluie avait pénétré toutes les couches de vêtements, jusqu’à ses os. Bien qu’assise à côté de la cheminée, sur une serviette que lui avait tendue Liam avant de disparaître, elle ne parvenait pas à se réchauffer.
— Je n’ai trouvé que ça, dit-il en lui tendant un sous-pull beige, une paire de collants de laine et une blouse tablier en velours vert bouteille.
Il ajouta, comme une excuse :
— C’est à ma grand-mère…
Marie-Cannelle se saisit des vêtements et ses doigts frôlèrent ceux de Liam.
— Mais vous être gelée ! Ne tardez pas d’avantage, à la douche, joli glaçon.
Malgré le froid, Marie-Cannelle sentit la chaleur rougir ses joues. Elle se releva prestement et se dirigea vers la salle de bain. La douche lui fit grand bien. Elle sentait l’eau bouillante couler le long de sa colonne, réchauffant peu à peu les cellules transies de son corps. Les tremblements se firent moins violents, ses dents ne claquaient plus. Et bientôt, elle se sentit prête à quitter le cocon de chaleur qu’elle avait créé dans la salle de bain. Elle enfila à la hâte les vêtements de la grand-mère de Liam, qui étaient un peu grands pour elle. Mais ils avaient le mérite de la tenir au chaud et elle ne devait pas se montrer trop difficile. D’autant qu’une poignée de minutes plus tard, elle serait rentrée chez elle.
Marie-Cannelle récupéra dans l’armoire le sèche-cheveux dont Liam lui avait parlé, le mit en marche et tenta, tant bien que mal, de discipliner du bout des doigts sa chevelure bouclée. Le résultat n’était pas à la hauteur, mais au moins ne prendrait-elle pas froid en sortant.
Enfin, elle sortit de la pièce embuée. Elle avait hésité un instant à entrouvrir la fenêtre pour en chasser la condensation qui avait prit possession de la totalité de la pièce, mais en entendant le vent souffler toujours plus fort, elle avait renoncé.
Marie-Cannelle rejoignit Liam dans la cuisine. Ce dernier était occupé à mélanger une grande casserole. Il ne se retourna pas, lorsqu’elle pénétra dans la pièce, mais, sentant une présence, il s’adressa à elle :
— Il est tard. Vous allez rester dîner. Je préfère attendre que le vent tombe un peu avant de vous ramener.
Son ton était chaleureux mais ne laissait pas la place à la contestation. Et Marie-Cannelle, toute à sa fatigue et au froid qu’elle avait ressenti, ne prit pas la peine de s’en offusquer.
— Allez vous installer devant la cheminée. J’ai étendu une couverture épaisse et des coussins, pour que vous soyez bien.
— Merci Liam, bredouilla Marie-Cannelle.
Elle s’installa et Liam ne tarda pas à la rejoindre, les bras chargés d’un plateau. Il apportait deux grands bols de soupe fumante ainsi que des tartines gratinées.
— Nous avons un bouillon de poisson, avec du bar acheté ce matin sur le port. Ce doit être un des derniers de la saison. Et les tartines sont au fromage de chèvre et au romarin. Ce n’est pas de la grande gastronomie, mais ça devrait faire l’affaire.
— Je vous le confirme ! Et ça sent drôlement bon !
Ils dinèrent ensemble, assis face au feu. Le silence n’était troublé que par les sifflements du vent dehors et les craquements du bois qui brûlait. Une soirée parfaite, songèrent-ils, sans oser l’avouer à l’autre.
Lorsqu’ils eurent enfin fini, Liam saisit les assiettes des mains de son invitée.
— Un chocolat chaud pour terminer ?
Marie-Cannelle soupira, parfaitement détendue.
— Avec plaisir. Puis-je vous aider à le préparer ?
— Non, je vais m’en débrouiller. Ce ne sera pas la première fois, vous savez. Profitez du feu, je reviens.
L’antiquaire se hissa sur le canapé, étendit sur elle un des plaids et s’installa confortablement. Soudain un bruit fort provenant de l’extérieur la tira de sa torpeur. Elle se redressa d’un coup et écouta attentivement.
Liam, sorti prestement de la cuisine, attrapa un manteau et une lampe torche, enfila des bottes de pluie et se dirigea vers la porte.
— Je vais voir, je n’en ai pas pour longtemps. Ne bougez pas de là.
— Vous croyez que c’est une bonne idée ?
Il ne répondit pas et disparut dans la nuit, après avoir claqué la porte derrière lui. Un nouveau grand bruit se fit entendre. Marie-Cannelle sauta sur ses jambes, entrouvrit la porte et appela.
— Liam ? Liam ? Tout va bien ?
Aucune réponse. Les secondes passaient et elle ne voyait pas revenir son hôte.
— Liam ? cria-t-elle plus fort.
Brusquement une ombre se profila devant la jeune femme, qui hurla de peur. L’ombre la saisit par les épaules et la fit reculer dans la maison, augmentant encore la terreur qui coulait à présent dans ses veines.
— Ce n’est que moi, Marie-Cannelle, lança Liam d’une voix douce pour la rassurer.
— Tu… Tu m’as fait affreusement peur !
— J’ai cru comprendre, articula-t-il en haussant les épaules, un sourire en coin. Bon, on le boit ce chocolat ? Tu pourras te remettre de tes émotions, comme ça.
Marie-Cannelle acquiesça et se rassit dans le canapé, sans un mot, tandis qu’il rapportait de la cuisine deux mazagrans décorés de bonhommes de pain d’épices.
— Je suis désolée de t’avoir… de vous avoir tutoyé tout à l’heure.
— Et moi je suis désolé de t’avoir fait peur, susurra-t-il avec un clin d’œil.
Et ils continuèrent d’échanger, l’air de rien. Ils conversèrent à propos de leurs grands-parents, de leurs souvenirs avec eux sur l’île. Marie-Cannelle lui raconta le Bazar, le festival qui allait bientôt se dérouler dans la boutique. Liam lui parla de son métier, de la passion qu’il avait de faire plaisir aux autres, sans pour autant se mettre de côté. De l’intérêt qu’il avait pour la planète et de ses recherches pour trouver des alternatives aux pesticides. De l’élevage de coccinelles qui mettait du baume au cœur et qui protégeait en même temps les plantations, notamment dans des serres.
Le vent s’était tu depuis longtemps lorsqu’enfin Marie-Cannelle put se coucher dans son lit, au chaud sous l’édredon de plumes d’oie que Mélie avait confectionné des années plus tôt. Elle imagina Liam faire de même, ne sachant quelle chambre était la sienne. Et lorsque Morphée vint l’emporter, elle ne savait plus si elle était dans un rêve ou dans la réalité.
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