Calendrier de l'avent 2022

14 décembre 2022

Le soleil se levait à peine sur l’île. La nuit de Marie-Cannelle n’avait pas été la meilleure de sa vie, tant s’en faut. Le vent ne soufflait plus mais Morphée n’avait pas su la garder longuement dans ses filets. Elle avait dormi d’un sommeil sans rêve et s’était réveillée sans entrain. Fort heureusement, Pomme, elle, sautait joyeusement, aboyant pour attirer l’attention de la maîtresse. La chienne était ravie de ce réveil très matinal.

— Pomme, calme-toi ! Tu es excitée comme une puce ! Qu’est-ce qu’il se passe ?

Pomme, comme si elle avait compris parfaitement ce dont il était question, se dirigea vers la porte et s’allongea, le museau contre le bois et la queue battant la mesure. Marie-Cannelle ne vint pas assez vite à son goût, aussi commença-t-elle à japper en pleurant.

— Oui, oui, c’est bon, j’arrive ! Laisse-moi juste enfiler un manteau.

Marie-Cannelle se saisit également de son sac à dos, dans lequel elle avait glissé une gourde et deux compotes. Elle accrocha la laisse au collier de Pomme et elles quittèrent la maison de Mélie.

— Allez, Pomme, c’est parti ! Aujourd’hui, tu viendras avec moi à la boutique, pour changer.

Le binôme s’élança sur la route qui coupait l’île en son milieu. Le soleil brillait, la nature s’éveillait et, malgré le froid, le temps était clément. Par-ci, par-là, cependant, la tempête avait laissé des marques. Quelques branches en travers de la route, un arbre déraciné, un toboggan en plastique qui se retrouvé loin de son emplacement, culbuté contre une clôture… Le peu de feuillage que les arbres étaient parvenus à garder s’étaient envolés. On remarquait à présent les maisons blotties habituellement derrière des haies verdoyantes.

Marie-Cannelle avait la sensation de redécouvrir son île, comme si elle était dans un lieu nouveau, façonné par le vent. Elle observait avec plaisir les maisons qu’elle apercevait, imaginait la vie des occupants derrière les volets clos. Près d’elle, Pomme allait et venait, reniflant, truffe au sol, la moindre trace de gibier.

Lorsque les dernières maisons disparurent derrière elle, Marie-Cannelle laissa son esprit vagabonder. Elle songea à Noël qui arrivait. À Gabriel et la montagne de brioche, de bûches et de commandes qui ne devaient pas s’arrêter à s’amonceler. À Érine, qui préparait, elle aussi, les fêtes avec sa classe en attendant les vacances bien méritées. À Liam et à la maison de ses grands-parents, si jolie et apaisante. Liam. Marie-Cannelle était toujours aussi sceptique quant à son comportement. Elle ne le comprenait pas. Il était aimable, presque chaleureux par moments, et redevenait aussi froid et secret que la banquise l’instant d’après. Il prenait soin d’elle mais mettait de la distance dès que l’occasion se présentait. La jeune femme ne savait sur quel pied danser. Pourtant, il fallait bien l’avouer, elle n’était pas insensible au charme de l’éleveur de coccinelles. Il avait un côté un peu hors du temps qui la faisait sourire. Son style atypique, ses occupations originales et sa manière de parler auraient pu le classer dans la catégorie des excentriques, mais il n’en était rien.

Sans s’en rendre compte, Marie-Cannelle était parvenue à Saint-Sauveur.

— Oh ben Pomme ! Tu as vu où on est arrivées ? On a oublié de tourner… Tant pis… On va aller saluer Mélie et on ira chez Gabriel ensuite.

Marie-Cannelle et Pomme avancèrent vers la route des sapins. Le cimetière était baigné de lumière. La rosée semblait briller comme de minuscules diamants accrochés à la végétation, donnant au lieu une atmosphère presque magique. La jeune femme se dirigea d’un pas lent vers la tombe de Mélie. Elle en profita pour saluer les personnes qu’elle connaissait. Elle les croisait si souvent qu’ils étaient presque comme des amis. Et Marie-Cannelle sentait presque leur présence. Elle avait du mal à comprendre, et encore plus à faire comprendre ce qui se passait, mais elle était toujours joyeuse et apaisée dans ce cimetière. Pomme aussi s’était calmée. Elle suivait sa maîtresse sagement, reniflant parfois de droite et de gauche, mais sans chercher à s’échapper.

— Bonjour Mélie, lança gaiement Marie-Cannelle en passant la main sur la pierre froide. Je passais à l’improviste mais je sais que ça ne te gêne pas. J’ai tellement de choses à te raconter… Je ne t’ai pas dit, même si tu le sais sûrement de là-haut, nous organisons de grandes festivités pour Noël au Bazar. Bon, c’est aussi pour faire la fête une dernière fois et ne pas pleurer quand je fermerai définitivement. Tu sais, je n’ai pas le choix, même si c’est dur. Je sais que c’était l’œuvre de ta vie, mais vraiment, je n’en peux plus. J’aime y être mais je me sens aussi exsangue. C’est difficile, sans toi, tu sais… J’espère que tu ne m’en voudras pas…

La jeune femme se tut. Pomme était allongée devant la tombe et dormait paisiblement au soleil. La nature était silencieuse et on n’entendait pas la moindre voiture. Et soudain, un rouge-gorge vint se poser sur la pierre, à côté de Pomme. La chienne ne bougea pas. L’oiseau, lui, tourna sa tête vers Marie-Cannelle, comme animé par une grande curiosité. Il la fixa un moment. Puis il s’envola, frôlant au passage la joue de la jeune femme. Était-ce un signe ? Sans doute…

— Merci Mélie. Merci pour tout. Merci d’être encore là à m’écouter. Tu sais, beaucoup de monde parle de toi en ce moment. On me raconte des souvenirs, on écrit des récits de toutes les époques. On m’apporte des photos, aussi, parfois. C’est comme si tu vivais encore, comme si tu n’étais jamais partie.

Mais déjà le cimetière commençait à bruisser des habitués, qui jetaient à Marie-Cannelle un regard compatissant et observaient Pomme d’un œil noir.

— Bon, mon chien, je ne sais pas quelle heure il est mais il est temps de s’y remettre, si on veut voir Gab avant qu’il ne parte.

Continuant sa balade, la femme et son chien repartirent presque sur leurs pas, suivant la route qui menait à Ker Châlon. Le trajet leur prit une demi-heure environ. Elles avancèrent dans le quartier et tournèrent dans la Rue du Rendez-vous. C’était là, au numéro 38 que vivaient Érine et Gabriel. Un mur blanc, percé d’une porte bleu ciel. On apercevait, par-dessus le muret, de la végétation. Le couple avait recréé à l’intérieur une oasis de verdure. La courette était le seul endroit où profiter du soleil et du ciel, la maison ne disposant pas d’un jardin. Ils avaient aussi installé une balancelle ainsi qu’un salon de jardin et un parasol chauffant pour l’hiver. Ils pouvaient ainsi prendre l’air, quelle que soit la température, tant que la pluie ne faisait pas des siennes.

Marie-Cannelle poussa le portillon et s’annonça. Elle était ici presque chez elle, depuis le temps. La maison avait été celle de Gabriel seul avant qu’Érine ne le rejoigne et l’antiquaire y avait passé bon nombre de soirée. Puis Érine était arrivée et Marie-Cannelle avait adopté Pomme.

— Gabriel ? Tu es là ?

Personne ne répondit.

— Gab ? Ce n’est pas drôle ! Le portillon était ouvert, je sais que tu es là ! Allez, sors !

À défaut du boulanger, ce fut une institutrice qui sortit de la maison.

— Salut Érine ! Je pensais que Gabriel était là.

— Ah ben non, tu l’as loupé de peu, il est parti il y a dix minutes. Il n’arrivait pas à se rendormir quand il est rentré après la fournée. Tu voulais quelque chose ?

— Ah, non… répondit Marie-Cannelle, déçue.

— Rentre prendre un café, je te déposerai en allant à l’école si tu veux.

Érine servit des tasses pleines d’un liquide sombre et les deux femmes s’installèrent au salon extérieur, profitant de la chaleur combinée du parasol et du soleil déjà un peu plus haut dans le ciel. Ses rayons n’étaient pas forts mais ils suffisaient à réchauffer les cœurs.

Marie-Cannelle posa quelques questions sur les préparatifs du marché à l’école, racontant à Érine comment elle se retrouvait avec quantité de babioles à vendre, certainement bien plus qu’il n’y avait d’habitants sur l’île. Et Érine relata les préparatifs avec les enfants, les cacophonies au moment de s’entraîner pour la chorale, les bonnes volontés qui n’étaient pas toujours dotées d’une voix juste. Les timides qui, malgré leur petite taille, auraient tant aimé se fondre dans la masse à l’arrière du groupe. Le meneur qui chantait bien mais à contre-temps, toujours une demi-mesure en avance sur les autres. Et puis il y avait aussi le massacre des paroles du seul chant en anglais. Les petits n’en comprenant pas les paroles, malgré les séances d’explications, ils mâchaient la moitié des mots et démembraient l’autre moitié.

— J’ai choisi All I want for Christmas is you[1], et ça n’était sûrement pas la meilleure idée que j’ai eue.

Les répétitions étaient éprouvantes, mais Érine en garderait de très bons souvenirs lorsqu’enfin ce serait terminé. La fatigue et l’excitation de la fin de l’année ne faisant pas bon ménage, il lui fallait déployer chaque jour des trésors de patience et d’inventivité pour garder les enfants attentifs et concentrés…


[1] All I want for Christmas is you, de Maria Carey.

https://mickaeleeloyautrice.wordpress.com/calendrier-de-lavent/

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