La matinée avait été éprouvante. En arrivant au Bazar avec Pomme, Marie-Cannelle n’avait pas su à quoi se mettre. Il restait beaucoup de choses à faire, sa liste débordait de tâches, mais aucune n’avait réussi à capter son attention. Son esprit, facétieux, la ramenait tantôt à la soirée de la veille, chez Liam, tantôt au cimetière ce matin et à la présence surprenante de ce rouge-gorge. C’était l’oiseau préféré de Mélie. Elle en admirait les couleurs, la finesse des pattes, la grâce, disait-elle, de son vol, et son petit ventre rebondi.
Pomme, elle, n’avait pas traîné. Elle s’était approprié les lieux dans lesquels elle venait rarement. Furetant à travers toute la boutique, elle avait fini par jeter son dévolu sur un coussin de toile posé sur un fauteuil en bois, non loin de la cheminée. Elle s’était installée là et n’avait plus bougé, savourant le temps passé aux côtés de sa maîtresse et loin des trois grasses qui lui en faisait parfois voir de toutes les couleurs.
— Bon, avant toutes choses, appelons Gabriel, s’invectiva Marie-Cannelle pour se donner de l’entrain.
Elle avait profité de la soirée avec Liam pour récupérer son papier et disposait enfin de la liste des commandes à passer.
— Boulangerie de l’île, Sophie à l’appareil.
— Ah, bonjour Sophie. C’est Marie-Cannelle. Gabriel est là ?
— Ah, bonjour Marie ! Il est à l’atelier, ne bouge pas, je l’appelle.
Marie-Cannelle détestait qu’on ne l’appelle que Marie. Elle trouvait ce prénom trop commun comparé à celui choisi par ses parents. Mais elle avait beau faire, Sophie revenait toujours à ce diminutif agaçant.
— Oui, Caramel ?
— Elle a recommencé.
Gabriel éclata de rire.
— Ben dis-lui une bonne fois pour toutes.
Marie-Cannelle haussa les épaules, même si Gabriel ne pouvait pas la voir. Elle était persuadée que ça ne servirait à rien. Il est des combats qui ne doivent pas être menés.
— Je ne t’appelais pas pour me plaindre de Sophie, tu penses bien.
Un silence lui répondit.
— Gabriel, tu es toujours là ?
— Hmmm.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Tu appelles pour hier soir, c’est ça ?
Marie-Cannelle resta interdite. Gabriel reprit
— Ce n’était pas volontaire, de ne pas te répondre. Mon téléphone était éteint, je ne l’avais pas remarqué.
— Oh, ça n’est pas grave, tu sais ! J’ai dîné chez Liam et il m’a raccompagnée ensuite.
— Ah… Et ce Liam, comment ça se fait qu’il a pu te ramener chez lui avant que tu ne rentres ?
La voix de Gabriel s’était faite plus cassante.
— Parce que j’étais en visite chez lui, tiens !
— Elle a bon dos la visite… Bon tu voulais quoi, finalement ?
— Passer ma commande pour le Noël du Bazar, et accessoirement, ne pas me faire rembarrer, mais pour ça, ça semble compromis, non ?
Gabriel, à son tour, ne répondit pas.
— Alors, j’aurai besoin de 9 pains surprises, des plateaux de petits fours salés et sucrés, des brioches, des chouquettes, du pain au cacao et des bûches : celles de l’année dernière aux cerises confites et amaretto, celles imitation tiramisu et sans doute aussi la création de cette année, caramel au beurre salé et pain d’épices.
— Attends ! Doucement ! Tu peux recommencer que je prenne des notes ?
Marie-Cannelle termina sa commande et ne s’éternisa pas avec son ami. Agacé par sa conduite et ses sous-entendus, elle avait besoin de se défouler. Aussi se lança-t-elle dans un grand ménage en profondeur. Non pas que la boutique en ait forcément besoin, mais faire les poussières, passer l’aspirateur et la serpillère, et nettoyer les vitres l’aideraient à se changer les idées. Elle avait déjeuner sur le pouce, s’était fait couler un café qu’elle n’avait pas encore pris le temps de boire…
L’antiquaire était à quatre pattes devant une table basse, essayant tant bien que mal de rattraper une balle que Pomme avait envoyée dessous, lorsque le carillon de l’entrée sonna.
— Bonjour Marie-Cannelle, je voulais m’assurer que tout allait bien… Tu t’es transformée en Cendrillon depuis hier ?
Liam, car c’était bien lui, souriait à la vie de la jeune femme pliée en quatre.
— On ne se moque pas, lança-t-elle avec un sourire ! Je tente désespérément d’attraper la balle de Pomme.
— Pomme ?
— Ma chienne !
Effectivement, de l’autre côté de la table basse, la queue de la chienne battait la mesure, et on entendait quelques jappements impatients.
— Allez, laisse-moi faire.
Liam lui tendit la main pour l’aider à se relever, puis s’aplatit au sol, glissa son bras sous le meuble et le retira quelques instants plus tôt, une balle bleue dans la main.
— Beurk, elle était pleine de bave, tu aurais pu me prévenir.
Marie-Cannelle sourit. Pomme, elle, se précipita vers l’homme pour se saisir de son jouet puis disparut dans la boutique.
— Mais avec plaisir, Pomme, sourit Liam en s’inclinant pour saluer d’une révérence la chienne qui n’en avait que faire.
Marie-Cannelle le regarda en souriant à son tour.
— Merci. Je crois que j’aurais bataillé encore longuement pour rattraper cette satanée balle.
— Tout le plaisir est pour moi, j’adore jouer les chevaliers servants, ajouta-t-il en lui adressant un clin d’œil.
— Je t’invite à dîner pour te remercier ? Ce sera une soirée simple, croque-monsieur, salade et film. Je passerai chercher un dessert chez Gabriel.
— Avec plaisir. Et ne t’embête pas, j’irai chercher les desserts. Vers 20 h, ça te convient ?
— Parfait. À tout à l’heure.
La fin d’après-midi se passa rapidement. Marie-Cannelle ne s’éternisa pas. La fermeture se fit à l’heure pile. La jeune femme et la chienne devaient encore remonter vers la maison de Mélie à pied. Fort heureusement le temps était clément. Le soleil n’avait pas manqué ses promesses matinales…
Vingt heures sonnaient à la pendule comtoise du salon quand Liam frappa à la porte.
— Rentre, mets-toi à l’aise. Je termine de préparer…
— Je peux t’aider pour quelque chose ?
— Si tu peux juste t’occuper du feu pour qu’on fasse cuire, ça serait super.
Liam la regarda, surpris.
— Faire cuire au feu ? Tu ne fais pas de croque-monsieur ?
A son tour, Marie-Cannelle parut étonnée.
— Euh, si. J’ai les appareils de Mélie.
Et comme l’homme ne semblait toujours pas comprendre.
— Viens, je te montre.
Marie-Cannelle saisit le plateau sur lequel étaient préparés les sandwichs et entraîna Liam vers le salon. À côté du foyer, deux fers attendaient qu’on les garnisse avant de les faire chauffer à côté des braises. Mélie ne jurait que par ces vieilleries, et Marie-Cannelle avait prit la suite avec plaisir. Elle avait également les fers à gaufres, qui donnaient un goût inégalable à ces gourmandises.
La soirée se déroula tranquillement. Ils discutèrent tranquillement tandis que le dîner cuisait puis s’installèrent pour regarder un film. Marie-Cannelle avait choisi une comédie romantique de saison…
— Merci, j’ai passé une très bonne soirée. Ça fait du bien de sortir un peu de la maison de mes grands-parents.
— Je me doute. Surtout en ce moment, j’imagine bien que ça ne doit pas être facile pour toi…
Marie-Cannelle lui serra la main pour l’assurer de son soutien. Liam, attristé, ne la relâcha pas.
— Je vais rentrer. Encore merci…
Il se pencha vers elle pour lui faire la bise et déposa un baiser léger presque à la commissure des lèvres de Marie-Cannelle. Puis il plongea son regard dans les yeux de la jeune femme, cherchant son accord silencieux.
Marie-Cannelle se leva sur la pointe des pieds, réduisant à une peau de chagrin l’espace qui les séparait encore. Espace que Liam s’empressa de combler. Puis, avec une infinie délicatesse, il la serra contre son cœur avant de s’éloigner.
— Je te laisse, bonne nuit, belle Marie-Cannelle. Fais de beaux rêves…
Et Marie-Cannelle resta là, sur le seuil de la maison de Mélie, regardant son amoureux tout neuf partir, en souriant. Elle ne dut son retour à la réalité qu’au froid qui commençait à se saisir d’elle, et surtout à Pomme qui n’attendait qu’une chose : aller se coucher !
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