— Gabriel, j’ai vraiment besoin de toi.
— Quoi ?
Gabriel et Marie-Cannelle terminaient de peaufiner les derniers détails de la décoration. Malgré la tension des derniers jours, le boulanger était venu lui prêter main forte, alors que la boutique n’était plus qu’à quelques heures de l’ouverture du marché de Noël de l’école. Aucun des deux ne savait exactement combien de personnes feraient le déplacement, mais la fête s’annonçait bonne. Et elle lancerait le début des réjouissances que Marie-Cannelle avait patiemment organisées.
En cet instant, Marie-Cannelle se trouvait juchée sur un escabeau devant la vitrine de la boutique, essayant désespérément de placer une guirlande sur la pancarte du Bazar de Mélie. Gabriel, lui, avait été chargé de disperser çà et là des bougies. Des fausses, pour éviter de prendre tout risque insensé, même si l’antiquaire préférait le charme des flammes qui vacillent, éclairent et échauffent l’atmosphère. Mais avec des enfants qui allaient courir et chahuter dans toute la boutique, le risque aurait été trop grand qu’une bougie ne se renverse…
— Gabriel, viiiiiite ! Je ne tiendrai plus longtemps !
Le boulanger se hâta de rejoindre son amie. Elle était en équilibre instable, un pied sur le haut de l’escabeau et l’autre posé contre la façade, dans un grand écart des plus acrobatiques.
— J’ai voulu me pencher un peu plus, mais ça a tout déstabilisé…
Gabriel fut pris d’un fou rire, en la voyant en si mauvaise posture.
— Purée, au lieu de rire, viens m’aider !
Enfin, Gabriel se reprit et plaça ses mains contre l’échelle, pour permettre à son amie de se rattraper.
— Avoue quand même que c’était drôle.
— Mouais… Bon, on continue ? On n’est que deux et il reste encore de quoi faire.
— Et ton chevalier servant, il est passé où quand on a besoin de lui ?
— Il avait rendez-vous avec un agent immobilier, je crois. Et puis, il fait bien ce qu’il veut, non ?
— Ah oui ! Tant que je ne l’ai pas dans les pattes, moi, ça me va.
Marie-Cannelle allait répliquer lorsque Érine fit son apparition. Elle portait un pull décoré d’un renne et un serre-tête sur lequel de magnifiques bois étaient posés. L’ensemble était à la fois amusant et classe.
— Je dérange, peut-être ? s’enquit-elle doucement.
— Bonjour Érine !
— Oui, bonjour ma chérie. Rentre te mettre au chaud, on arrive.
Les deux amis s’empressèrent de placer la guirlande et rejoignirent l’institutrice à l’intérieur. Gabriel, dans un esprit d’apaisement, se retint de dire à Marie-Cannelle que, la guirlande n’étant pas électrique, elle ne se verrait certainement pas…
Peu à peu, les convives arrivèrent. Les enfants se regroupaient dans l’alcôve, derrière un grand drap qui servait de rideau, pour enfiler les quelques accessoires dont ils avaient besoin pour leur spectacle.
Les travaux des enfants et les gourmandises étaient cachés sous de grandes nappes légères pour décourager les spectateurs les plus indélicats. Dans un coin de la boutique, un vin blanc chaud bouillonnait doucement, parfumant l’air d’épices.
Bientôt les lumières s’éteignirent et le rideau s’ouvrit sur la chorale. Chaque classe avait répété durant tout le mois de décembre. Les maîtresses avaient choisi un répertoire varié de chants de Noël. Quelques classiques avaient trouvé place parmi d’autres chants plus amusants. Alors que les premières notes emplissaient l’air, Érine prit le micro et invita Marie-Cannelle à ouvrir le marché de Noël. La salle bruissa et on entendit demander un discours. L’antiquaire, toute gênée, s’avança.
— Je voulais vous remercier tous, d’avoir fait le déplacement pour ce premier, et malheureusement dernier, Noël au Bazar de Mélie. Ma grand-mère aurait adoré être des nôtres. Vous avez été nombreux à la célébrer durant ces derniers jours, au travers de vos témoignages. Elle restera toujours dans nos cœurs. Maintenant, place à la fête ! Je déclare ouvertes les festivités du dernier Noël du Bazar de Mélie.
Après des applaudissements nourris, les petites voix s’élevèrent. Tous étaient heureux de ce moment partagé qui ouvrait les fêtes de Noël. Lorsque les enfants entonnèrent ensemble Petit Papa Noël, on frappa à la porte de la boutique. Et pour le plus grand plaisir des petits et des grands, le vieux bonhomme rouge entra. Les yeux des enfants brillaient. Ils étaient les premiers surpris de cette visite. Les adultes, eux, observaient autour d’eux pour identifier qui, parmi les habitants de l’île, pouvait se cacher derrière ce costume. Mais rien ne transpira…
Le vieux monsieur s’installa dans un fauteuil et Gilles, le photographe, qui avait été mis dans la confidence, proposa aux familles de créer des souvenirs qu’il imprimait au fur et à mesure sur du papier spécialement prévu pour l’occasion.
Les institutrices proposèrent aux parents qui le souhaitaient de venir acheter le fruit du travail de leurs enfants. Des bricolages tous plus mignonnes les uns que les autres furent aussi proposés. L’ensemble des ventes permettraient de financer les voyages de fin d’année pour toutes les classes : une journée pique-nique pour les maternels, une balade en mer avec les marins de l’île pour la classe d’Érine et un séjour de trois jours sur le continent pour les plus grands. Tout le monde se pressait devant les stands, souhaitant acquérir les productions des enfants. Mais, malgré l’impatience de certains, l’ambiance resta festive.
Puis, enfin, on ouvrit le buffet. Les enfants se régalèrent des brioches et des biscuits, de chocolat chaud et de jus de fruits. Les adultes, eux, savourèrent le vin chaud avec plaisir. Et les discussions allèrent bon train. Les souvenirs avec Mélie furent, au cœur des échanges et on ajouta de nouveaux cartons à la collection de Marie-Cannelle.
Hiver 1985. La France avait été touchée par une vague de froid sans précédent. Et l’île n’avait pas été épargnée. Les températures étaient descendues à des -4°C et des -5°C. J’habitais à Port-Joinville à cette époque-là. Ta mère, Marie-Cannelle, venait de rencontrer ton père et ils passaient leur premier hiver sur l’île ensemble. Il avait bien choisi son moment pour découvrir notre caillou ! Jean-Noël et Mélie avaient fait tout ce qu’ils avaient pu pour le tenir à peu près au chaud. Un matin, alors que le vent s’était levé et que le froid était des plus mordants, on avait entendu un bruit fort dans la grande rue. Mes parents s’étaient mis à la fenêtre, essayant d’apercevoir à travers la couche de givre qui s’était formée même à l’intérieur des maisons, la source de ces pétarades. Et on avait découvert Mélie, juchée sur le vieux tracteur, traverser le quartier en direction du port, pour aller chercher du thon frais à la descente du bateau. Son écharpe volait derrière elle, c’était ainsi qu’on l’avait reconnue.
Marie-Cannelle prit de nombreuses photos, tout au long de la soirée. Elle souhaitait immortaliser la fête, pour agrémenter le cahier des festivités. Un peu plus tard, Liam, enfin débarrasser de son costume rouge, vint lui prêter main forte, passant de l’un à l’autre, proposant biscuits et boissons.
— M-Ci, on n’a bientôt plus de chocolat… Tu pourrais en refaire ?
— Je t’accompagne ! lança Érine avec un immense sourire, la suivant dans l’escalier qui menait à l’étage.
Les deux femmes ne s’étaient pas retrouvées seules depuis quelques temps et profitèrent pour échanger sur leurs projets à venir.
— Tu feras quoi, après la fermeture du Bazar, demanda Érine.
— Je ne sais toujours pas. J’hésite encore… Peut-être que je commencerai une formation pour changer de métier plus facilement.
— Et avec Liam ?
— Pour le moment, ça se passe bien, même si nous nous connaissons depuis peu. On verra où ça nous mène !
— Je suis certaine que vous êtes faits l’un pour l’autre, souffla Érine. Ça se voit tellement ! Je suis heureuse pour toi, tu sais. Et j’espère que tu seras aussi heureuse que nous le sommes, Gabriel et moi. D’ailleurs, je peux te confier un secret ? Gabriel et moi essayons d’avoir un enfant.
Marie-Cannelle, surprise, renversa une bonne partie de sa brique de lait à côté de la gamelle.
— Ah, je ne savais pas. C’est une bonne nouvelle, répondit-elle avec un entrain des plus mesurés.
Puis, devant l’air déçu d’Érine, elle s’empressa d’ajouter :
— Je suis sincèrement ravie pour vous, excuse-moi de ne pas être plus enthousiaste, mais tu sais, avec la fatigue…
— Oui, je comprends. Bon, ne lui dis pas que je t’en ai parlé, il est superstitieux, tu sais, il préfère qu’on garde ça pour nous pour le moment.
Sans lui laisser le temps de répondre, Érine descendit avec une jarre pleine de chocolat, pour le plus grand plaisir des enfants qui étaient encore présents.
Les familles partirent les unes après les autres. Certains parents restèrent pour aider à ranger. Les restes de biscuits furent stockés dans la réserve, en prévision de la suite des festivités. Et enfin, alors que la nuit était déjà bien avancée, Marie-Cannelle put enfin éteindre les lumières et fermer la boutique. Malgré la proposition de Liam de passer la nuit avec lui, elle rentra en direction de la maison de Mélie, laissa Pomme profiter du jardin tandis qu’elle prenait une douche bien chaude puis se mit au lit sous l’édredon, la chienne couchée à ses pieds.
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