Liam vint rejoindre Marie-Cannelle, ayant préféré lui laisser un peu d’air, le temps de quitter l’île. Il se doutait que sa jeune amoureuse aurait mal au cœur de voir la terre s’éloigner, mais il n’était pas inquiet. Ils s’étaient trouvés et elle allait adorer la vie à l’élevage. Elle saurait prendre soin des petites bêtes à bon Dieu. Et, il fallait bien l’admettre, sa présence à ses côtés lui laisserait davantage de temps pour développer son activité de Hapiness Manager…
— Je suis tellement heureux que tu viennes avec moi. Même si ça n’est que pour une poignée de jours. Et la prochaine fois que tu prends le cargo, ce sera pour t’installer définitivement près de moi… Tu te rends compte ?
Tout à son bonheur, Liam ne vit pas, dans la pénombre, les petites perles qui brillaient aux coins des yeux de Marie-Cannelle, semblables à des gouttes de rosée.
Au loin, l’île n’était plus qu’un petit point faiblement éclairé, posé à l’horizon. Marie-Cannelle ne parvenait déjà plus à en distinguer la côte ni les maisons. Seul le phare éclairait encore la nuit de ses lumières… Son cœur se déchirait un peu plus à chaque mille parcouru en mer. La présence de Liam à ses côtés n’était qu’un petit baume au cœur. Il relevait davantage du placébo que du véritable onguent. Ses bras qui l’entouraient pour la réchauffer semblaient des serpents prêts à l’étouffer à la moindre marque de faiblesse. Même ses baisers doux lui faisaient l’effet de morsures laissant des marques brûlantes et douloureuses sur sa peau. Alors que son esprit tentait par tous les moyens de lutter contre ces sensations déplaisantes, son cœur hurlait à tout rompre. Il lui criait qu’elle avait été faible. Que la tête ne sait pas tout. Que seul le cœur connait le chemin qui mène au bonheur. Il la poussait à réagir, à se rebeller contre cette direction qu’elle prenait mais qui n’était pas la sienne. Alors, comme sortie d’un nuage brumeux dans lequel elle s’était enfermée au fil des jours, Marie-Cannelle sembla apercevoir une lueur. De minuscule, semblable à un ver luisant, elle grandit, prit de l’ampleur, gagna en confiance pour devenir un véritable feu d’artifice. Et, alors que Liam l’entraînait vers l’intérieur du cargo pour qu’ils s’abritent du froid, le combat qui faisait rage en elle prit fin.
— Liam, je…
Sans lui laisser le temps de terminer sa phrase, l’homme l’enlaça et l’embrassa avec tendresse.
— Chut, ne dis rien, nous aurons tout le temps de discuter sur le trajet. Repose-toi, tu l’as mérité, lui proposa-t-il alors qu’ils s’asseyaient sur une des banquettes à leur disposition.
Avec toute la gentillesse dont elle était capable en cet instant-là, Marie-Cannelle repoussa Liam, les yeux mouillés de larmes.
— Laisse-moi respirer un instant, tu veux bien ? lui demanda-t-elle avec un sourire triste, sa main le maintenant toujours à une distance raisonnable d’elle.
Liam se rembrunit. Il avait vaguement perçu un changement dans l’attitude de l’antiquaire, mais ne parvenait pas à en comprendre l’origine. La jeune femme ferma les yeux, avant de prendre une grande inspiration. Lorsqu’elle les rouvrit, elle était déjà plus déterminée.
— Liam, écoute. Je pense qu’il n’y aura pas de meilleur moment pour avoir cette discussion. Je t’aime beaucoup, tu sais. Mais beaucoup, ça ne suffit pas. Ça ne suffit pas pour bâtir les fondations d’une relation longue durée. Pas maintenant. Pas dans ces conditions. Pas pour tout abandonner derrière moi. Tu m’as demandé de te suivre en région parisienne et ça me semble être presque le bout du monde. Je dois quitter les endroits que je connais, l’île qui m’a vue naître, celle qui est en quelque sorte ma sœur, ma confidente. Tu veux que je tourne le dos à celui qui a toujours été là pour moi, mon ami d’enfance, mon compagnon de jeux dès le plus jeune âge, celui avec qui je me suis disputé de nombreuses fois, qui a toujours su me faire enrager, mais qui sait aussi prendre soin de moi.
— M-Ci, de quoi parles-tu ? Je ne te demande rien !
— Si, indirectement. Tu m’as demandé de te suivre, de m’occuper de ton élevage comme si c’était ton bébé, d’en prendre soin, de mettre dans ma poche tout ce que j’ai vécu sur l’île et de poser mon mouchoir dessus.
Liam la regardait, blessé, tandis qu’elle continuait d’une voix douce.
— Je pensais que nous vivions les mêmes choses. Que ton déchirement après la mort de ton grand-père était semblable à ce que j’avais vécu lorsque Mélie m’avait quitté. Mais j’avais tout faux. Bien sûr, je sais que tu souffres, mais tu n’as pas vraiment d’attachement pour ta maison sur l’île, ni de souvenirs que tu aurais construit là-bas. Nous nous sommes fourvoyés tous les deux. Tu cherches une compagne, quelqu’un avec qui vivre au quotidien et qui pourra s’occuper de tes bestioles, et n’y vois pas là une critique, car ce n’en est pas une. Moi je cherche un phare, un ancrage, un guide dans la nuit, alors que mon magasin fait naufrage. Tu vois à quel point nous sommes différents ? Réalises-tu que nous nous sommes induits en erreur ?
Liam restait toujours aussi silencieux. Il avait bien tenté de prendre la main de Marie-Cannelle, pendant qu’elle parlait, mais elle ne lui en avait pas donné l’occasion.
— Alors quoi ? C’est fini, c’est ça que tu essaies de me dire ?
— Ce que j’essaie de dire, c’est que nous deux, ça ne pouvait pas durer éternellement. Nous avons vécu une jolie idylle, presque une amourette de vacances. Tu nous as bercé de douces illusions. Tu m’as parlé de tes projets et je les ai acceptés comme miens, à l’encontre de ce que me dictait mon cœur.
— Ne me fais pas jouer le mauvais rôle dans cette histoire, grinça-t-il entre ses dents, dans un sursaut de colère froide dont Marie-Cannelle n’aurait jamais supposé qu’il fût possible.
— Non, Liam, tu n’as pas le mauvais rôle, ni moi. Alors profitons de ces derniers instants de nous avant que nos chemins ne se séparent… Mais sache que, quoi qu’il arrive par la suite, tu seras toujours le bienvenu sur mon île et dans ma vie, à défaut d’avoir la première place dans mon cœur.
Le bateau continuait sa navigation, insensible aux propos que les deux jeunes gens venaient d’échanger. Il avançait toujours, à allure modérée par sa lourde stature, fendant les eaux sombres et calmes. La lumière du continent était à présent bien visible, tandis que le Grand Phare n’était plus qu’un point lumineux, tout juste bon à garder le cap. Le cargo longea la bande de terre et de landes puis mit le cap sur Fromentine. Le pont était éclairé par des lampadaires qui semblaient à des douches de lumières, projetant leurs fils dorés jusqu’aux flots qu’ils surplombaient. Il ne restait qu’une poignée de minutes avant de rejoindre enfin le continent. Marie-Cannelle et Liam se regardaient sans rien oser. La complicité qui, quelques instants plus tôt, était la leur s’était envolée, comme noyée dans le vaste océan. Le temps d’un trajet, ils étaient devenus l’un pour l’autre un souvenir tendre auquel ils penseraient les soirs d’automne, mais rien de plus.
Enfin le bateau entreprit les manœuvres de mise à quai et vint le temps du débarquement. Marie-Cannelle emprunta la passerelle piétonne, son sac sur le dos, tandis que Liam rejoignait sa voiture. Et dans un dernier signe de la main par le carreau ouvert, il la salua avant de disparaître dans la ville. Le cœur en miettes, il remercia silencieusement cependant la jeune femme qu’il avait rencontré le temps d’un séjour pour la franchise dont elle avait su faire preuve et les merveilleux moments qu’ils avaient passés ensemble. L’antiquaire, elle, retint un sanglot, consciente qu’elle avait pris sans doute la meilleure décision de sa vie. Elle consulta ensuite les horaires des prochains départs pour sa chère île et réserva un billet pour la première heure le lendemain matin. Puis elle téléphona à ses parents.
— Papa ? Est-ce que tu peux venir me chercher ? Je suis sur le quai à Fromentine, murmura-t-elle, la voix pleine de larmes.
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