Calendrier de l'avent 2022

25 décembre 2022

La porte venait de se fermer sur les derniers fêtards. Clémence et Jean-Max avaient, eux aussi, quitté la boutique pour rejoindre leur chambre d’hôtel, n’ayant plus de pied à terre sur l’île. Gabriel, lui, avait décidé de rester aider son amie à ranger ce qui devait l’être.

Marie-Cannelle, les larmes aux yeux, se laissa tomber dans un fauteuil. Et voilà, le Bazar de Mélie venait de vivre son dernier Noël, sans doute le plus flamboyant de tous. Elle était heureuse d’avoir réussi ce tour de force, d’avoir rendu hommage à sa grand-mère et de marquer d’une pierre blanche cet instant de transition. Gabriel revint avec deux tasses de vin chaud. Il s’installa face à elle, sans un mot. Il ne savait que faire pour remonter le moral de sa chère antiquaire. Mais l’était-elle encore ?

Soudain, Marie-Cannelle se leva d’un bond. Elle posa la tasse sur un buffet et se précipita vers son comptoir. Il lui restait encore à découvrir les souvenirs de Jean ! Elle déplia la page noircie d’une écriture fine et commença sa lecture.

Été 1997. Jean-Noël nous a quitté depuis bientôt cinq ans. Mélie a beaucoup souffert, mais elle semble chaque jour plus forte encore que le précédent. Alors que je me suis effondré après la disparition de Lucie, me plongeant à corps perdu dans le travail, Mélie reste aimable, ouverte et souriante. Je suis bluffé par sa capacité de résilience. Nous nous croisons souvent au cimetière. Elle y vient rendre visite à son cher disparu comme on visite un vivant. Elle lui parle, lui raconte sa journée et les dernières nouvelles de l’île. Peu à peu, le noir a déserté ses tenues et nous avons tous retrouvé la Mélie pimpante, colorée, festive. Elle a aussi recommencé à se maquiller, légèrement, et un parfum de vétiver persiste dans son sillage.

Ce matin, elle portait une robe légère, rouge vif, qui mettait en valeur sa taille gracile. Un chapeau large protégeait ses cheveux blancs tressés. Elle avait une touche de rose sur les joues et un soupçon de rouge sur ses lèvres. Je l’ai retrouvée l’après-midi sur la plage des vieilles. Je sais qu’elle y vient régulièrement, je n’ai pas résisté à l’envie d’en savoir plus sur elle. Nous avons discuté, nous sommes racontés nos souvenirs et nous avons ris à gorge déployée. J’ai ri pour la première fois depuis que j’ai perdu Lucie. Avec elle, je me sens bien. Je me sens vivant… Alors que la journée touchait à sa fin, elle a voulu mettre les pieds dans l’eau. Et nous avons joué à nous éclabousser comme de grands enfants de cinquante et soixante ans.

Tu vois, Marie-Cannelle, cet été-là, ta grand-mère pétillait. Il émanait d’elle une joie de vivre et une soif de bonheur que je n’ai jamais connu ailleurs. Nous avons passé des moments magiques. Des moments passionnés aussi. Nous nous sommes aimés cet été-là, et le suivant, et celui d’après également…

Mélie n’a jamais voulu en parler, de peur de choquer ta mère. Mais je peux t’assurer que nous nous aimions. C’était un secret de polichinelle, nous nous sommes fait surprendre ensemble un nombre incalculable de fois, au fil des années. Ah Mélie… Elle était le feu et j’étais la glace. Elle était l’eau et j’étais la terre. Elle était mouvante, elle s’adaptait à toutes les situations, elle glissait sur la vie. Mais Mélie était aussi indépendante, et elle y tenait. Moi j’ai toujours été terre à terre, passionné mais calme. Elle était mon océan et j’étais son roc.

Marie-Cannelle, si je te dis ça aujourd’hui, c’est aussi pour te rassurer. Nous avons souvent parlé de toi, avec Mélie. Je ne t’ai connu que de loin, mais je te connaissais à travers elle. Et ta grand-mère voulait que tu sois heureuse et que tu vives ta vie. Que tu construises ton propre projet. Elle était persuadée que cette boutique n’était qu’une passade, une transition, un phare qui t’éclairerait le temps que tu trouves ton chemin. Alors voilà, tu y es, va de l’avant. Fonce. Tu es comme elle, tu as ça dans les veines. Et l’île sera toujours ton refuge où que tu sois. Ne te perds pas dans des questionnements sans fin, avance, trace ta voie. Mélie sera fière de toi, quoi qu’il arrive.

Marie-Cannelle laissa tomber la feuille et les larmes coulèrent sur son visage. Elle était troublée, tremblante, transi… Ainsi donc Mélie avait un amoureux depuis toutes ces années, et personne, dans la famille, n’en avait rien su. Des souvenirs furtifs revinrent en tête de la jeune femme. Un jour où Jean était passé à la boutique et où Marie-Cannelle avait cru qu’il avait embrassé sa grand-mère. Elle lui avait assuré qu’il n’en était rien. Une autre fois où Mélie cachait dans une grande boîte une lettre qu’elle avait trouvé dans sous sa porte… Plein de petits grains de sable qui ne paraissaient rien, mais qui, mis tous ensemble éclairait d’une nouvelle lumière la vie de sa grand-mère.

— Caramel, tout va bien ?

Marie-Cannelle soupira longuement, revenant peu à peu à la réalité. Elle était à genoux, dans la boutique de Mélie, Gabriel à ses côtés. Partout, où qu’elle pose le regard, les décorations avaient transformé l’endroit en une véritable maison du Père-Noël. Alors tout lui revint. Elle avait besoin de faire taire son esprit. Elle devait trouver une occupation. Et la boutique avait besoin d’un bon coup de ménage. Haussant les épaules, elle préféra éluder la question de son ami et s’attaquer au désordre qui régnait autour d’eux.

— Gabriel, il faut qu’on range. Je dois boucler la boucle et tourner la page. Cette fois sera la dernière.

La jeune femme se releva, lança une playlist rock et commença à placer les boules et les guirlandes dans les boites en plastique qui les avaient toujours protégées. Elle regroupa les souvenirs et les photos dans d’autres caisses et les aligna dans la réserve. Les rares objets qui n’avaient pas trouvé preneur furent placés dans les buffets pour les protéger de la poussière. Bientôt, l’aspirateur vint remplacer la musique. Enfin, ils placèrent de grands draps blancs sur les meubles qui devenaient alors de gentils fantômes venus tout droit du passé…

— Veux-tu que je te laisse ? demanda Gabriel alors que les premières lueurs de l’aube pointaient leurs rayons sur l’île.

— Non ! Reste, je t’en prie.

Il s’approcha d’elle, la prit doucement dans ses bras et commença à la bercer alors que les larmes refaisaient leur apparition. Marie-Cannelle laissa libre cours à sa tristesse pendant de longues minutes. Lorsque, enfin, les larmes se tarirent, elle leva la tête vers son ami et plongea son regard dans les yeux clairs du boulanger. Les mots de Jean lui revinrent en mémoire. Fonce. Ne te perds pas dans des questionnements sans fin. Alors, avec appréhension, elle se hissa sur la pointe des pieds et ne s’arrêta qu’à quelques centimètres des lèvres de son ami, lui laissant terminer son geste s’il le souhaitait.

Gabriel fut tout d’abord surpris du mouvement de l’antiquaire. Il mit quelques secondes à comprendre. Et, alors qu’elle s’apprêtait à se détourner, il plaça délicateur ses mains en coupe sur le visage de son amie et l’embrassa avec une infinie tendresse. Puis il la serra plus fort dans ses bras, alors que leurs cœurs battaient à l’unisson pour la première fois.

— Tu es sûre de toi, Caramel ? finit-il par demander, inquiet.

— Ne te pose pas de questions. C’est ce que m’a écrit Jean. Il était amoureux de Mélie, tu le savais ?

Marie-Cannelle s’écarta de son ami et l’observa. Gabriel plissa les lèvres, dans un sourire gêné, puis hocha la tête.

— C’était leur secret, je ne pouvais pas te le dire. Ce n’était pas à moi de le faire… Beaucoup savaient sur l’île. Et su connais les marins, toujours taiseux, jamais bavards. Et surtout, pas du genre à raconter les histoires des autres, sauf si ça devient une légende des temps anciens… Je suis surpris, pourtant, que tu n’aies jamais rien remarqué. Même depuis que Mélie nous a quitté. Tu n’as jamais trouvé que sa tombe était particulièrement fleurie, par exemple ?

Marie-Cannelle réfléchit au temps qui s’était écoulé depuis le décès de sa grand-mère. Elle avait cru que les islais venaient parfois déposer un bouquet de jonquilles ou de lilas pour Mélie, mais était-ce Jean, durant toutes ces années ?

— C’était lui, hein ? Et c’était son parfum que je sentais parfois chez Mélie. Ça a toujours été lui et je n’avais pas compris, résuma-t-elle, comme une évidence, soudain.

Cette fois, le sourire du boulanger était empreint de douceur et ses yeux brillaient d’un éclat nouveau. Et, alors qu’il embrassait de nouveau Marie-Cannelle, elle songea qu’il était son roc et qu’elle était son océan…

Mais la fatigue vint se rappeler à eux. Marie-Cannelle bailla bruyamment. Gabriel la regarda, étonné, puis éclata de rire. Elle lui prit la main et, ensemble, ils montèrent à l’étage de la boutique dormir ensemble, dans les bras l’un de l’autre, pour se remettre des émotions fortes de cette nuit inoubliable.

***

Alors que le soleil éclairait la minuscule chambre dans laquelle Marie-Cannelle et Gabriel s’étaient endormis, la jeune femme fixait le plafond. Qu’avons-nous fait, bon sang ? Les flashs de la soirée lui revenaient en mémoire. Les sourires des islais présents, les danses, la musique, les rires et les souvenirs de Mélie. Tout se mélangeait dans son esprit encore épuisé. Bercé par une douce tristesse et par la respiration apaisée de son meilleur ami, allongé à côté d’elle, elle attendait que les heures passent et les questions se bousculaient dans sa tête.

La veille, à peine étaient-ils montés que Marie-Cannelle et Gabriel s’étaient endormis, main dans la main, comme lorsqu’ils étaient enfants. Et ce matin, tout avait changé. Comme s’ils avaient franchi d’un coup les années qui les séparaient de l’enfance et que, comme par magie, ils étaient devenus adultes sans s’en rendre compte. Comme si ces dernières années n’avaient pas existé. Comme si Érine n’avait jamais été là.

— Érine ! s’écria Marie-Cannelle, glacée d’effroi, réveillant dans un sursaut le jeune boulanger.

— Hein ? Quoi ?

Il la regardait les yeux encore ensommeillés. Les larmes avaient recommencé à couler sur les joues de la jeune femme. Alors qu’il tentait de la prendre dans ses bras, elle se détourna de lui et s’assit sur le bord du lit.

— Gabriel, je suis désolée, sanglota-t-elle. Érine et toi, vous… le bébé…

Sans ménagement, Gabriel saisit les épaules de son amie et la secoua.

— Mais qu’est-ce que tu me racontes ?

— Je n’aurais pas dû t’embrasser hier. Vous essayez d’avoir un bébé et moi, je viens tout gâcher. Encore une fois.

— Caramel, regarde-moi. D’abord tu ne m’as pas embrassé. On s’est embrassés. Et ça change tout. Ensuite, je ne sais pas ce que c’est que cette histoire de bébé. Et enfin, ça fait des semaines que notre couple bat de l’aile. Pourquoi crois-tu qu’Érine ne soit pas là pour Noël ?

Marie-Cannelle le regardait sans comprendre. Elle n’avait pourtant pas rêvé quand l’institutrice lui avait fait part de leur projet.

— Mais elle me l’a dit ! Elle m’a clairement parlé de bébé dans l’année !

— Non, Caramel. Non, nous ne voulons pas avoir de bébé. Nous avons fait une pause. Mais il va falloir que j’aie une explication avec elle. Pour le moment, si on déjeuner ?

Ils s’installèrent dans la petite cuisine et commencèrent à manger, dans un silence quasi religieux. Gabriel souriait lorsqu’il regardait la jeune femme. Marie-Cannelle, elle, avait l’air absente.

Lorsque le soleil commença à décliner doucement, Marie-Cannelle eut assez de courage pour descendre observer sa boutique. Les draps blancs donnaient une ambiance à mille lieues de la fête de la veille. Et pourtant, il lui semblait entendre encore les chants et les rires. Elle fermait les yeux et se retrouvait comme dans un rêve. Elle sentait le monde qui l’entourait de toute sa gaité, le regard tendre de sa mère et la fierté qu’elle avait lu dans ses yeux, les bras de Gabriel et ses lèvres douces… Son ami la tira de ses pensées, lorsqu’il vint la prendre contre lui.

— Tu rentres avec moi ? Pomme t’attend avec impatience, tu sais !

— Je… euh… Non, je ne pense pas. J’ai besoin d’être ici encore un peu. Ça ne te gêne pas, j’espère.

Gabriel était surpris. Il sentait bien que Marie-Cannelle était distante, depuis leur réveil, distante ou songeuse. Il mettait cela sur la fermeture de la boutique. Et il ne voulait surtout pas la brusquer. Ils avaient su attendre des années avant d’en arriver là, il pouvait bien patienter encore quelques heures, quelques jours. Il l’embrassa tendrement au coin des lèvres et quitta la boutique.

Restée seule, Marie-Cannelle se tourna vers le portrait de Mélie. C’était le seul objet à n’être pas recouvert d’un drap blanc. Elle n’avait pas pu s’y résoudre lors du grand ménage.

— Tu vois, Mélie, je suis perdue. Tu m’as envoyé Jean, je ne doute pas que tu l’as fait. J’ai bien compris que je devais aller de l’avant, prendre la mer plutôt que d’observer les flots depuis la plage. Tu m’as toujours dit de guider mon bateau et d’avancer. Mais je ne connais pas ma destination. Je ne sais pas quelle sera la prochaine étape. Je me sens comme les marins d’autrefois, qui partaient à l’assaut des flots, sans aucune carte. Très peu réussissaient. Je n’ai pas envie d’affronter les tempêtes et les récifs, Mélie. Je ne veux pas me tromper de route, cette fois encore. Je ne peux pas… Je fais quoi maintenant ?

Elle regarda intensément le portrait, attendant que sa grand-mère l’aide. Elle avait besoin d’un indice, d’un signe, de quelque chose qui lui ferait ressentir la présence de Mélie à ses côtés.

— Allez, Mélie ! Aide-moi, j’ai besoin de toi. J’ai vraiment besoin de toi, murmura-t-elle, des larmes dans la voix.

Seul le silence lui répondit. Le silence et son téléphone qui lui annonça l’arrivée d’un message.

[Gabriel] Pomme et moi attendons avec impatience que tu nous rejoignes. Nous avons passé une soirée merveilleuse et la fin a été, pour moi, une apothéose. Un feu d’artifice. Je tiens à toi, et j’avais juste besoin d’ouvrir les yeux. C’était tellement évident, nous deux, que je n’avais pas remarqué que nous étions faits l’un pour l’autre. Je t’aime, Caramel. À tout à l’heure.

Était-ce le signe que Mélie lui envoyait ? Marie-Cannelle en doutait. Mais à bien y réfléchir, Gabriel avait toujours été là. Ça avait été lui depuis le début. Et effectivement, elle ne concevait pas sa vie sans lui. Était-ce de l’amour ? Rien n’était moins sûr. Mais après tout, que perdait-elle à essayer…

[Marie-Cannelle] Je pense que je vais rester un peu à la boutique. J’ai besoin d’y voir plus clair et de comprendre où j’en suis. Ce n’est pas contre toi. Mais l’idée d’habiter dans la maison que vous aviez choisie, Érine et toi, me rebute un peu. Je tiens beaucoup à toi. Et je ne veux pas précipiter les choses. Je t’embrasse.

Ainsi fut fait. Gabriel continua de vivre dans la maison de la Rue du Rendez-vous et Marie-Cannelle au-dessus de l’ancienne boutique de la Rue du Coin du Chat. Ils se retrouvaient pour des soirées, plus fréquentes qu’avant, des balades et des après-midis pluvieuses. Mais le soir, chacun rentrait chez soi, à de rares exceptions près. Étaient-ils un couple ? Ni l’un, ni l’autre n’aurait su que répondre.

Marie-Cannelle prit aussi le temps de lire et relire les souvenirs de Mélie. Elle en avait fait un grand album qu’elle conservait dans un tiroir, l’agrémentant, au fil des jours, de photos qu’on lui déposait encore. Lors de ses marches quotidiennes sur les plages et sur les chemins, elle réfléchissait à son avenir, à cette page blanche qui s’offrait à elle. Elle était seule aux commandes. Elle pouvait en faire ce qu’elle voulait, mais le choix était trop vaste pour qu’elle réussisse à y voir clair dans ses choix et ses envies. Seule une certitude émergeait de la brume : son avenir était intimement lié à cette île et Gabriel jouerait une place importante dans son futur.

Marie-Cannelle se sentait parfois désœuvrée. Elle n’était pas habituée à passer tant de temps sans être affairée. Alors, quand l’ennui menaçait de se saisir d’elle, elle sautait dans la voiture verte et se dirigeait vers le cimetière. Là, dans le calme et le froid de l’hiver, elle parlait à Mélie, encore et toujours. Elle échangeait aussi avec les rares visiteurs, parmi lesquels Jean. Ils s’étaient un peu rapprochés. Il venait sur la tombe de Mélie après avoir posé une fleur sur celle de feue son épouse.

— Alors, ma petite Marie-Cannelle, toujours rien à l’horizon ?

— Non, Jean. La mer est calme, je n’ai toujours pas de vent dans les voiles. Je me demande parfois si Mélie n’a pas trouvé mieux à faire.

Le vieil homme sourit. Il comprenait bien ce que la jeune femme ressentait. La retraite lui avait, un temps, donné la même sensation. Puis il avait commencé à s’occuper. Il s’était pris de passion pour l’artisanat et s’était essayé aux travaux du cuir qu’il avait boudé des années durant.

— Tu trouveras ta voie, ma petite. J’en suis certain. Ce n’est pas Mélie qui te guide, mais ton cœur. C’est lui, et lui seul que tu dois écouter. Il murmure dans le vent, il murmure dans les flots. Et il éclaire ton chemin.

Les paroles sibyllines de Jean trottaient dans la tête de la jeune femme des jours durant. Écoute ton cœur. Et un matin, alors qu’elle sortait de la douche et regardait par la fenêtre, au-dessus des toits, la réponse lui vint presque naturellement. Elle s’enveloppa d’une serviette et se dirigea vers la petite table en formica sur laquelle son ordinateur était posé. Vadrouillant sur internet, elle effectua quelques recherches. Son sourire se faisait de plus en plus éclatant, à mesure que les réponses à ses questions lui parvenaient. Puis elle envoya un message à Gabriel.

[Marie-Cannelle] J’ai trouvé. Cette fois-ci, j’ai vraiment trouvé ! Je vais devoir m’absenter quelques temps, mais que dirais-tu de venir dîner ce soir ? Je commande à emporter et je pourrai t’expliquer en détails ce que je vais faire de mon futur ! Et je te promets que je te garderai une immense place, si tu en es toujours d’accord… J’ai hâte, à tout à l’heure. Je t’aime.

***

Six mois plus tard…

— En quoi puis-je vous aider ?

Marie-Cannelle, tout sourire, papillonnait de l’un à l’autre, conseillant, guidant, orientant les touristes de passage. La boutique ne désemplissait pas. Dès les beaux jours, les estivants arrivaient par fournée, à chaque accostage du bateau.

Le Bazar de Mélie vivait une nouvelle jeunesse. Après trois mois d’absence, la jeune femme avait ôté les grands draps, fait le ménage de fond en comble et ramené la boutique à la vie.

Avec l’aide de Gabriel, elle avait réagencé les lieux, conservant quelques meubles anciens qui donnaient à l’ensemble un côté rustique et intemporel. Les alcôves abritaient des banquettes et des tables. La réserve, elle aussi, avait été réaménagée, mais elle conservait encore les nombreuses caisses de décorations de Noël, qui, Marie-Cannelle, le savait, trouveraient à nouveau leur place dans la boutique quelques mois plus tard.

— Bonjour, je cherche une carte de l’île. On m’a dit que je pourrais trouver ça chez vous…

Un couple de quinquagénaires, l’air un peu perdu, attendait la réponse de la jeune femme.

— J’en ai une ici, indiqua Marie-Cannelle en pointant du doigt un immense cadre, à l’opposé de la boutique. Mais vous trouverez aussi des indications sur le présentoir à côté du comptoir.

Le carillon sonna gaiement alors que le couple s’en allait.

— Bonjour Mademoiselle.

Marie-Cannelle frissonna. Elle aurait pu reconnaître cette voix entre mille.

— S’il vous plait, sauriez-vous où je pourrais trouver de futurs acquéreurs ?

Elle se retourna avec empressement, fixa son nouveau visiteur et, après une seconde d’hésitation, lui sauta au cou, le sourire aux lèvres.

— Liam ! Je suis heureuse de te retrouver. Tu as fait bon voyage ?

L’éloignement les avait malgré tout rapprochés. Après quelques temps de silence, ils avaient repris contact, marchant, l’un comme l’autre, sur des œufs. Mais ils avaient fini par convenir que leur aventure avait été une belle erreur et qu’il aurait été malheureux de tirer un trait sur une possible amitié.

— Allez, montre-la moi ! lui demanda-t-il, impatient.

Marie-Cannelle, les joues roses, tendit sa main vers l’homme qui se tenait devant elle. Il s’en saisit délicatement et la porta vers ses yeux. À son annulaire brillait un minuscule diamant, enchâssé dans une bague en forme de vague…

— Magnifique ! Je suis heureux pour vous. Et le mariage, alors, c’est pour quand ?

Mais déjà de nouveaux voyageurs franchissaient la porte, monopolisant l’attention de la jeune femme.

— Je dois te laisser, Liam. On se retrouve chez le notaire à seize heures !

Marie-Cannelle s’activa à répondre aux nombreuses questions. Dans les premiers jours, elle avait parfois le tournis, tant les touristes étaient pressants, curieux, parfois mal aimables. Puis elle s’y était fait. Le petit office du tourisme qu’elle avait ouvert dans le Bazar de Mélie faisait sa fierté. Elle pouvait enfin transmettre sa passion de l’île. Le portrait de sa grand-mère n’avait pas été décroché du mur. La vieille dame continuait de veiller sur elle… Il avait, certes, fallu convaincre les plus récalcitrants du bienfondé de son idée, mais à force de persuasion, Marie-Cannelle avait obtenu toutes les autorisations nécessaires à l’ouverture. Et l’inauguration avait été un moment presque aussi notable que le Noël du Bazar.

Plus tard, alors que la nuit avait enveloppé l’île de son doux manteau, assise en terrasse, Marie-Cannelle rayonnait. Entre deux des hommes qui comptaient le plus pour elle, elle se sentait vivante et à sa place. Gabriel lui tenait la main avec tendresse. Ils avaient signé l’achat de la maison de Liam un peu plus tôt dans l’après-midi. Le boulanger avait aimé les lieux autant qu’elle. Et il n’avait eu aucun mal à se projeter là, avec de petits garnements hauts comme trois pommes courant dans leurs pattes ou construisant des cabanes dans le jardin… La mer, proche, avait fini par le séduire.

Liam, assis face à eux, souriait. La douce brise et le vin qu’ils avaient dégusté à l’ombre du phare l’avait légèrement grisé et il profitait du temps qui passe. Les relations entre les deux hommes s’étaient apaisées et, même s’ils ne seraient jamais les meilleurs amis du monde, ils semblaient enfin s’apprécier.

— Alors, le mariage ? glissa Liam, l’air de rien, tandis que Gabriel emportait les assiettes vides vers la cuisine.

Marie-Cannelle éclata d’un rire franc.

— Oh, rien ne presse, tu sais ! On a déjà beaucoup à faire. L’office du tourisme me prend un temps fou. Je vais certainement devoir me trouver un assistant, sans quoi je vais être submergée plus vite que prévu. Et il y a l’emménagement ici, la boulangerie à faire tourner, et tout le reste !

— En tous cas, tu sembles avoir trouvé ta voie. Je te trouve éclatante. Et avec lui, d’autres projets ? fit Liam, en indiquant la maison dans laquelle Gabriel venait de rentrer d’un geste du menton.

— Eh bien… Il se pourrait que oui, rougit Marie-Cannelle, les yeux pétillants de bonheur.

Liam l’observa sans réserve, s’attardant un peu plus que de raison sur son ventre. Se pouvait-il que…

— Tu veux dire que vous avez un « dossier » en cours ? mima-t-il.

Avant de répondre, Marie-Cannelle laissa à son fiancé le temps de les rejoindre avec les cafés.

— Liam, il se pourrait qu’on ait un service à te demander, dans quelques mois… Tu as toujours ton élevage de coccinelles, n’est-ce pas ?

— Ah oui, il ne risque pas de s’envoler de si tôt, sans mauvais jeu de mots, bien sûr, sourit-il.

Marie-Cannelle plongea son regard dans celui de Gabriel, en une question silencieuse. Le boulanger haussa les épaules

— Fais comme tu veux.

La jeune femme tourna la tête vers son ami.

— Eh bien… Gabriel et moi portons un projet fou pour dans quelques temps. Aux beaux jours plus précisément. Dans huit mois, à peu de choses près… La date n’est pas encore tout à fait fixée.

Liam sourit. Il avait vu juste. Marie-Cannelle reprit, d’une voix douce, sans se départir de son sourire.

— Alors voilà. Nous allons organiser un festival sur l’île. Une grande fête de marins, comme à l’âge d’or, quand les conserveries étaient nombreuses et que les bateaux rentraient chargés, après avoir pêché dans les eaux de Terre-Neuve.

L’homme face à elle eut un hoquet de surprise avant d’être secoué par un fou-rire.

— Je ne parlais pas de ce genre de projet, ma belle ! Mais j’en suis ravi pour vous.

Marie-Cannelle comprit sa méprise et rit à son tour, accompagnée par Gabriel. Puis elle se lança dans un flot ininterrompu d’explications.

Le festival se tiendrait durant un long week-end. Il regrouperait tout ce que l’île comptait de musiciens et d’artistes. On danserait, on chanterait. On remonterait aussi le temps. Des chevaliers prendraient place dans le vieux Château, tandis qu’un concert ambiance années trente serait organisé dans la Citadelle. L’école accueillerait une exposition de photos sur l’île à travers le siècle dernier. Marie-Cannelle comptait passer l’automne aux archives, quand les touristes seraient moins nombreux, pour dénicher des informations quant au passé d’Yeu.

La discussion continua autour de ce projet pharaonique. Mais après avoir organisé le Dernier Noël du Bazar de Mélie, Marie-Cannelle n’avait pas peur. Elle sentait qu’elle disposait en elle des ressources nécessaires, et les appuis qu’elle avait au sein de l’île étaient nombreux. Chacun était disposé à mettre la main à la pâte. Liam, lui aussi, se proposa pour prêter main forte. Le lâcher de coccinelles, qui ouvrirait les festivités, serait, à n’en pas douter, un moment empli de poésie et d’optimisme.

Marie-Cannelle comptait bien faire de cet événement un incontournable. Elle savait, à n’en pas douter, qu’il lancerait la saison touristique. Elle en parlait déjà dans son office, distribuant à l’occasion quelques flyers. Le bouche à oreille ferait le reste.

Intarissable, elle ne s’arrêta que lorsque les feux d’artifices tirés à minuit depuis le phare, éclatèrent dans le ciel sans nuage. Les claquements et les crépitements masquaient le son de sa voix, et la vue de ces fleurs multicolore l’accapara presque entièrement. Les gerbes d’étincelles éclairaient les visages et faisaient briller les yeux des trois amis sur leur terrasse. Au loin, Marie-Cannelle pouvait aussi apercevoir les lueurs du continent sur lequel, en ce soir de fête nationale, d’autres feux entraient à leur tour dans la danse, ajoutant encore de la magie au spectacle qui se déroulait sous leurs yeux. C’est à peine si elle put glisser une dernière information, entre deux fusées.

— Oh et Liam, on appellera le festival le Mélie-Mélo !

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