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12 décembre 2022

Il ne restait qu’une semaine avant le marché de Noël. La boutique de Marie-Cannelle débordait d’objets tous plus colorés les uns que les autres. Les seules personnes qui passaient à la boutique ne venaient qu’agrémenter la collection de Noël, et pas un ne repartait avec un objet. Marie-Cannelle se sentait dépassée… Peut-être faudrait-il rappeler aux clients que, la boutique fermant définitivement ses portes prochainement, il était temps de profiter des offres spéciales.

Il était presque dix-sept heures lorsque Marie-Cannelle ferma la boutique. Le grincement des grilles, qui la faisait parfois frissonnait, avait depuis quelques jours, un goût de nostalgie…

La jeune femme envoya un message à Liam pour lui annoncer son arrivée.

[Marie-Cannelle] Bonjour Liam, je vais me mettre en route, si ça tient toujours pour la visite de ce soir. Je suis impatiente de découvrir l’envers du décor de la fameuse maison aux volets rouges. Elle nous a toujours intriguée lorsque nous étions enfants… A tout à l’heure. Marie-Cannelle.

Puis elle verrouilla la grille et rejoignit la voiture de Mélie, qui démarra sans faire de manière. Une fois n’est pas coutume ! La veille voiture s’avérait parfois un peu capricieuse, surtout quand les températures se rafraichissaient. Marie-Cannelle avait pris l’habitude de la garer dans la grange, pour éviter toute déconvenue le matin. Ce jour-là, le temps était frais, mais le soleil brillait sans partage dans le ciel. L’antiquaire savourait la balade qu’elle s’offrait à travers l’île. Plutôt que de prendre la route de Saint Sauveur, elle avait préféré suivre la côte et admirait l’océan qui s’étendait à perte de vue. Elle longea les plages, à travers la lande. La côte nord était moins sauvage que la côte sud. Ici, le sable était présent dans de nombreuses criques et les touristes pouvaient profiter des plages, l’été pour des baignades, l’hiver pour de grandes promenades à pied.

Enfin parvenue à la Pointe des Corbeaux, Marie-Cannelle gara sa voiture au pied du phare. La maison de Liam était de l’autre côté de la route. Celle aux fameux volets rouges. Lorsque Marie-Cannelle et Gabriel étaient ados, ils se promenaient souvent à vélo à travers l’île. Leurs parents leur faisaient entièrement confiance et il n’y avait jamais eu de soucis. Lorsqu’ils poussaient jusqu’à la pointe tout à l’est, ils ne manquaient jamais de passer devant la maison. Les volets donnant sur le phare étaient toujours fermés. Et l’autre côté de la maison disparaissait derrière un grand mur de protection. Ils aimaient inventer des histoires sur ce qui pouvait se trouver à l’intérieur. Peut-être abritait-elle une sombre histoire comme celle de Barbe Bleue. Ou était-ce la retraite d’une célébrité ?

— Et dire que je vais enfin avoir le fin mot de l’histoire !

Marie-Cannelle jeta un regard vers son téléphone, pour s’assurer que Liam n’avait pas décommandé. Mais elle n’avait pas reçu le moindre message. La jeune femme prit une grande inspiration et sonna à la porte.

Liam lui ouvrit. Il portait ce jour-là un pantalon de toile, une chemise blanche et un gilet. Et, malgré la fraicheur ambiante, il était à pieds nus. Le contraste était surprenant.

— Bonsoir, Mademoiselle Marie-Cannelle, dit-il en l’invitant à rentrer.

— Bonsoir Liam, répondit-elle en souriant.

La maison n’avait plus rien des maisons traditionnelles de l’île. Les cloisons avaient été supprimées et les espaces s’ouvraient sur une grande partie de la superficie du rez-de-chaussée. La cuisine était placée dans une sorte d’alcôve assez vaste, à laquelle on accédait par une verrière d’inspiration industrielle. La pièce principale était tout aussi moderne. Les couleurs naturelles donnaient une impression de douceur. Marie-Cannelle s’y sentit immédiatement bien. Un immense canapé était couvert de coussins, et deux grands plaids attendaient qu’on les déplie.

— Installez-vous, je vous en prie.

— Oh, vous savez, je ne viens que découvrir vos trésors, je ne resterai pas longtemps.

— Je peux vous proposer quelque chose peut-être ? Je manquerais à tous mes devoirs sinon…

Marie-Cannelle acquiesça. Liam leur servit deux verres de jus de fruits.

— Vous savez, ma grand-mère a hérité de cette maison d’un lointain aïeul qu’elle n’avait pas connu. Elle ne connaissait même pas son existence. Et je n’ai jamais bien compris leur lien de parenté… Toujours est-il qu’ils ont laissé carte blanche à un décorateur qui en a fait une maison de catalogue. Bien sûr, elle est très belle et on s’y sent bien, mais je la trouve trop impersonnelle. Vous en pensez quoi ?

— Oui, vous avez raison, on s’y sent bien. Et pour tout vous dire, j’ai toujours beaucoup aimé la Pointe. C’est elle qui est le plus proche du continent. On dit que les jours de beau temps, on peut apercevoir les côtes, mais nous n’avons jamais réussi, Gabriel et moi.

— Gabriel est votre conjoint ?

Marie-Cannelle manqua de s’étrangler avec son jus de poire.

— Oh, grands dieux, non ! C’est mon meilleur ami. Il est aussi boulanger à Port Joinville… ajouta-t-elle comme pour se justifier.

Liam ébaucha rapidement un sourire qui disparut en une fraction de seconde. Marie-Cannelle, elle, se sentait un peu gênée. Aussi changea-t-elle de sujet rapidement.

— Pourriez-vous me montrer les pièces dont vous souhaitez que je m’occupe ?

— Oh, il ne s’agit pas de pièces, juste certains des meubles.

Marie-Cannelle sourit de la confusion. Liam l’entraîna à l’arrière de la maison. Plusieurs chambres étaient distribuées par un couloir dans l’aile opposée.

— Eh bien, il y a cette armoire normande, même si elle est un peu atypique ici. Et aussi l’ensemble composé du lit et de la commode dans cette pièce.

La visite continua. Marie-Cannelle prenait des notes et des photos. Chaque pièce apportait son lot de surprises. Là, Liam souhaitait proposer un lot de vieux draps en parfait état. Ici, des bibelots en bois flotté. Là encore, des huiles sur toile, représentant la mer et les différentes côtes de l’île. Marie-Cannelle y reconnut le Port de la Meule, l’anse du Vieux Château et la Plage de la Belle-Maison. Dans une dernière chambre, un tableau attira son attention. Il était composé d’une foultitude de photos de l’île, sans doute prises dans les années cinquante ou soixante. Des personnes y étaient présentes. Elle n’en reconnu aucune mais certaines lui semblaient pourtant familières.

— Ce sont des souvenirs de famille ?

— Pas vraiment. Ces vieilles photos proviennent d’on-ne-sait-où. Mes grands-parents voulaient les garder pour donner un aspect un peu plus authentique à la maison, moins impersonnel. Mais je n’y attache pas grande importance, vous savez. Prenez-le, si le cœur vous en dit.

Marie-Cannelle le détacha avec délicatesse du mur. Elle avait les yeux brillants et savait qu’elle demanderait, sans doute dès le lendemain, aux voisins leur aide pour identifier chacune des personnes présentes. Peut-être même, songea-t-elle, une lueur d’espoir dans les yeux, trouverait-elle un vieux portrait de sa grand-mère !

— Merci ! Vous ne pouvez pas savoir comme ça me touche. Pour un peu, je vous embrasserais, laissa-t-elle échapper.

Liam se figea, comme saisi par la glace. Puis, avec une extrême lenteur, il se retourna et plongea son regard dans les yeux de la jeune femme. Marie-Cannelle rougit, à la seule pensée de l’audace qu’elle venait de se permettre.

— Oh, euh, non, je… bafouilla-t-elle.

Liam ne lâchait pas son regard. Puis il se redressa, secoua la tête et continua d’arpenter les pièces. D’une voix faible, il murmura :

— Dommage. Mais n’en parlons plus.

Marie-Cannelle dut se pincer pour être certaine de n’avoir pas rêver, tant la voix de son hôte était faible. Ils passèrent dans les deux salle-de-bains que comptait la maison avant de revenir dans la pièce de vie. L’antiquaire avait rempli plusieurs pages de son carnet.

— Merci, Liam. Je vais réfléchir. Puis-je vous donner une réponse demain ? J’ai besoin de faire un point rapide sur mon inventaire avant de vous dire ce que je vais mettre dans la boutique. Mais je préfère vous prévenir, je ne pourrai pas tout prendre, je pense.

— Très bien. Faisons ainsi. Je ne m’attendais pas…

Il ne put finir sa phrase. Un volet claqua contre le mur avec fracas. Une nouvelle tempête était à l’approche, elle n’allait pas tarder à toucher l’île.

— Il serait sans doute temps que je rentre, avant le vent, glissa Marie-Cannelle. Merci de m’avoir reçue et encore merci pour ce cadre. Je l’aime déjà. Et il sera parfait pour les festivités ! Sans doute que, parmi les anciens, certains pourront me raconter l’histoire de ces photos.

— Merci à vous. C’est toujours plaisant de recevoir quelqu’un, même si ce n’est que pour une poignée de minutes. Passez une bonne soirée et prenez soin de vous.

Alors qu’il ouvrait la porte fenêtre qui donnait sur la rue, le vent s’engouffra dans la maison en sifflant. Marie-Cannelle retint un frisson, tant il était froid. Elle resserra son col contre sa gorge, rabattit sa capuche et, après un dernier signe de la main à destination de Liam, se dirigea vers la vieille voiture verte. Elle s’installa au volant et démarra, Liam l’observant depuis le pas de la porte, malgré le vent. Ou plutôt essaya-t-elle de démarrer… La R5 de Mélie avait décidé qu’il n’était pas question pour elle de quitter les lieux. Le moteur toussait dans le vide mais rien d’autre ne se passait…

https://mickaeleeloyautrice.wordpress.com/calendrier-de-lavent/

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